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HISTOIRE DES UNIVERSITES
1- L'Enseignement médical avant le XIXe siècle (89-143)
Contrairement à d'autres pays occidentaux, Italie, France, Angleterre, Allemagne, etc., la Russie ne possède aucune ancienne et vénérable université. Nous avons vu qu'à l'origine les médecins sont des étrangers. Les russes qui veulent devenir docteurs en médecine doivent s'expatrier pour leurs études. Les tsars qui ont tant besoin de médecins aimeraient depuis longtemps disposer de leurs propres écoles mais les structures manquent totalement.
La première école de médecine apparaît en 1654 après une épidémie de peste. Le tsar Alexis décide sa création pour former le personnel sanitaire de l'armée. 30 soldats sélectionnés apprennent les rudiments de la médecine. La première promotion de 13 lékars sort en 1658. Mais cette première école disparaît rapidement sans qu'on en connaisse les raisons (100-143-89-70-167).
C'est à Pierre le Grand, pionnier dans ce domaine comme dans bien d'autres, que la médecine russe doit les vrais fondements de son enseignement. Quand il inaugure le Gofspital de Moscou en 1707, c'est autant le premier hôpital moderne de Russie que la première vraie école de médecine dont il a besoin pour les besoins de son armée. Il confie la responsabilité de l'établissement au hollandais Bidloo qui assumera sa charge avec passion et compétence jusqu'à sa mort en 1735. Le recrutement est difficile les premières années, les familles répugnent à envoyer leurs fils étudier ces disciplines nouvelles. Le nombre prévu de 50 élèves n'est atteint qu'en 1711. La durée des études est de 5 ans au minimum. Bidloo est un maître exigeant et sévère. Les élèves sont soumis à une discipline militaire, les punitions vont jusqu'à l'emprisonnement et au fouet. Sur les 50 élèves de 1711, il n'en reste que 33 deux ans plus tard : 6 sont décédés, 3 renvoyés et 8 ont quitté l'école (89). Notons que l'enseignement, de bonne qualité, est autant théorique que pratique. Les premiers diplômes délivrés datent de 1713. On distingue les meilleurs (lékar) des médecins subalternes (podlékar) qui ont pourtant fait les mêmes études mais avec moins de succès. Ils sont tous promis à une carrière militaire (89-143-84-70-100-76). D'autres écoles s'ouvrent à Petersbourg et à Kronstadt vers 1730 sur ce modèle, puis une à Elisabethgrad (1788) et à Barnaul (dans les mines de l'Altaï) (100).
Durant le XVIIIe siècle, l'enseignement va se standardiser et se diversifier : la chirurgie est enseignée à l'égal de la médecine, les premiers cours d'obstétrique apparaissent en 1763 (89).
Sous l'initiative de Lomonossov, le plus grand savant russe, la première université de Russie voit le jour à Moscou en 1755 comprenant une section médicale. La faculté de médecine proprement dite est créée en 1764. On peut regretter son enseignement trop théorique, la faculté n'ayant pas de clinique d'enseignement (89-51-143-74).
Les écoles de médecine formèrent environ 1500 lékars durant le XVIIIe siècle. Rappelons que ces médecins n'ont pas besoin du titre de docteur en médecine pour exercer (89).
En 1764, Catherine II accorde au Collège Médical (c'est à dire un organisme d'état) le droit d'accorder le titre doctoral. Jusque là, les médecins qui voulaient le recevoir devaient partir dans une faculté étrangère. Mais le collège médical, essentiellement composé d'allemands, répugne à accorder le titre à ces russes mal dégrossis. Les premiers candidats sont renvoyés et il faudra l'intervention personnelle de la tsarine pour que le premier doctorat soit accepté en 1768. Il n'y en aura d'ailleurs pas d'autre avant 1783. Heureusement, en 1791, l'université de Moscou reçoit le droit de conférer le titre de sa propre autorité. Elle en usera une douzaine de fois jusqu'à la fin du XVIIIe siècle (89-143-221-74).
2- Les Universités de 1801 à 1917, le chaud et le froid
Le début du règne d'Alexandre 1er ouvre une ère de réformes et de libéralisme. L'enseignement supérieur connaît une expansion remarquable. Quatre universités s'ajoutent à celle de Moscou : les anciennes universités de Wilno (Vilnius) prise aux polonais et de Dorpat, aux suédois. Deux sont créées ex nihilo : Kazan et Kharkov en 1804. Toutes possèdent une faculté de médecine qui remplacent les anciennes écoles de médecine (143-89-100-51-183). En 1819, l'université de Saint-Pétersbourg remplace l'Institut Pédagogique de la capitale. Sa section médicale est l'Académie Médico-Chirurgicale, créée en 1799 qui constitue une école de médecine de pointe (143-92). Elle n'est pas intégrée dans une faculté de médecine et continue son enseignement sous son nom et sa structure que nous étudierons plus loin. La base de l'enseignement reste le même que dans les autres facultés. Six matières sont alors enseignées (89):
1- anatomie, physiologie et jurisprudence médicale
2- pathologie, thérapie et pratique
3- pharmacologie
4- chirurgie
5- obstétrique
6- pratique vétérinaire
La relative autonomie et la liberté des professeurs et des étudiants ne durent pas. Moscou brûle en 1812 pour accueillir Napoléon. L'université de Moscou disparaît dans l'incendie avec les volontés libérales du tsar (167). Les années suivantes voient la première "reprise en main" des universités. La censure est renforcée, les réunions interdites, les nominations des professeurs contrôlées. La situation s'aggrave encore sous le règne du suspicieux Nicolas 1er. Pirogov raconte la visite que fit incognito le tsar à l'université de Moscou. Mécontent d'y voir un ancien Décembriste glorifié, le tsar renvoie le recteur de l'université et impose bientôt le port de l'uniforme aux étudiants (159).
Un vent de révolutions souffle sur l'Europe en 1830. Les étudiants polonais et avec eux toute la Pologne se révoltent contre l'occupant. Nicolas 1er voit rouge, il écrase l'insurrection et supprime l'université de Wilno en 1832. L'université de Kiev en Ukraine est ouverte en 1833 pour la remplacer (51-89-183-154).
Pourtant, tant que son pouvoir n'est pas contesté, Nicolas 1er est d'abord plutôt favorable à l'enseignement supérieur. Ouvarov, son ministre de l'éducation nationale, améliore les conditions matérielles des universités et le niveau scientifique. En 1845, une réforme à laquelle Pirogov participe, met fin à la division entre lékar (médecin) et podlékar (sous-médecin). On favorise les épreuves pratiques et on supprime les épreuves en latin. De façon générale, le niveau d'enseignement est plutôt médiocre, souffrant beaucoup du manque de pratique, sauf à l'Académie Médico-Chirurgicale. Botkine raconte comment des professeurs se contentaient de lire des livres ayant 10 ou 15 ans d'âge. Certains responsables d'enseignement ne donnent que 6 à 8 cours en 8 mois et un professeur décrivait l'auscultation et la percussion comme une escroquerie (190-24-89-143).
En 1848 à nouveau, les révolutions se multiplient dans toute l'Europe. Ouvarov est renvoyé et la situation se détériore rapidement. "L'existence même des universités fut menacée ; l'administration ne les préserva qu'à contrecœur" (89). Les voyages à l'étranger sont interdits, les étudiants sévèrement contrôlés. Certaines matières comme la philosophie cessent même d'être enseignées (168).
La mort de Nicolas 1er libère le pays. Son fils s'engage dans la voie des réformes. En 1863 une loi accorde l'autonomie aux universités. L'assemblée des professeurs peut élire à son gré le recteur et les doyens des facultés, elle a le droit d'établir les programmes. La pathologie générale, l'anatomo-pathologie font leur apparition. En 1869, les polonais voient s'ouvrir à Varsovie une nouvelle université, l'enseignement y est dispensé en russe. Mais, "à la fois centre d'éducation scientifique et instrument d'oppression nationale, l'université de Varsovie joua un rôle historique ambigu" (89).
A nouveau l'Histoire bascule. Alexandre II est assassiné en 1881. Son fils, très choqué par sa mort, met tout en œuvre pour bloquer les réformes. Les universités sont considérées comme un nid de terroristes et un des berceaux de la subversion. Elles sont une fois de plus sévèrement contrôlées et perdent leur autonomie par la réforme de 1884. Les responsables des facultés et même tous les professeurs sont désormais directement nommés par le pouvoir exécutif (89-143. Cette pression politique contraint de grands noms à quitter leur poste voire leur pays (Metchnikoff, Erismann, etc.) (213-167-51-180). On interdit des nominations à cause des origines juives du candidat (Mandelstam) (15).
Malgré cette atmosphère délétère, le niveau scientifique progresse. C'est l'époque des grands noms de la médecine russe : Botkine, Zakharine, Setchenov, Pavlov, Korsakoff et d'autres. Les spécialités médicales s'individualisent et s'enseignent séparément (89). On crée des chaires d'anatomie pathologique (1859), botanique (1860), ophtalmologie (1860), psychiatrie (1860), hygiène (1865), chirurgie opératoire (1865), pédiatrie (1865), oto-rhino-laryngologie (1899), etc. Deux nouvelles universités sont ouvertes : Tomsk en Sibérie (1888) et Odessa (1896).
Au début de notre siècle, la Russie possède huit facultés de médecine plus l'Académie Médico-Chirurgicale de Petersbourg. Il faut également ajouter l'université finlandaise d'Helsingfors (aujourd'hui Helsinki), administrée par les russes de 1809 à 1917 (89).
Les tableaux 6 et 7 nous montrent le détail de l'activité des universités à la fin du XIXe siècle.
tableaux
6 : nombre d'étudiants dans les universités au 1.01.1896 (143)
universités |
nombre total d'étudiants |
nombre d'étudiants en médecine |
taux des étudiants en médecine |
Université de Saint-Pétersbourg |
3057 |
0(1) |
0% |
Académie Médico-Chirurgicale |
750 |
750(1) |
100% |
Moscou |
4147 |
1380 |
33% |
Kharkov |
1365 |
800 |
59% |
Kazan |
804 |
451 |
56% |
Kiev |
2434 |
1032 |
42% |
Odessa |
575 |
0(2) |
0% |
Tomsk |
413 |
413 |
100% |
Dorpat |
1171 |
716 |
61% |
Varsovie |
966 |
453 |
47% |
TOTAL |
|
|
38% |
(1) : la section médicale de l'université de Petersbourg est l'Académie Médico-Chirurgicale
(2) : la faculté de médecine d'Odessa débute en septembre 1896
tableau 7 : diplômes remis par
les universités russes en 1895 (143-18)
universités |
titres de docteur en médecine |
titres de lékar |
Académie Médico-Chirurgicale |
environ 40 (1) |
150 |
Moscou |
23 |
217 |
Kharkov |
6 |
112 |
Kazan |
3 |
70 |
Kiev |
2 |
168 |
Tomsk |
0 |
60 |
Dorpat |
47 |
140 |
Varsovie |
2 |
97 |
TOTAL |
123 |
|
(1) : données imprécises
En 1885 s'ouvre à Petersbourg "l'Institut Clinique de Perfectionnement" destinée à l'enseignement post-universitaire des médecins préparant le doctorat. Il est aussi fréquenté par des médecins de zemstvo et des auditeurs libres (162-187).
"L'Institut de Médecine Expérimentale" destiné à former les chercheurs voit le jour à Petersbourg en 1890 (162). Des laboratoires de grandes qualités y sont installés dont une station antirabique (58). Le plus célèbre est le laboratoire de physiologie dirigé par Pavlov.
A la révolution de 1917, on compte 15 centres pédagogiques pour la formation et le perfectionnement des médecins russes. Il faut en effet ajouter à ceux que nous venons de voir deux écoles de médecine strictement féminines et la faculté de Ekatérinoslav (aujourd'hui Dniépopétrovsk) fondée en 1916 (89).
3- L'Académie Médico-Chirurgicale (107)
L'Académie Médico-Chirurgicale de Saint-Pétersbourg mérite d'être traitée à part. Dernière survivante des anciennes écoles de médecine du XVIIIe siècle, c'est aussi la meilleure faculté de médecine de l'empire.
Paul 1er crée en 1799 deux Académies Médico-Chirurgicales : une à Saint-Pétersbourg, une à Moscou. Cette dernière fusionne dès 1802 avec la faculté de médecine de Moscou avec qui elle entrait en concurrence inutile. L'Académie Médico-Chirurgicale désigne dès lors la seule école de Petersbourg. Elle est d'abord destinée à fournir les médecins militaires dont l'état a besoin mais devient bien vite le "fer de lance" (comme dirait un russe célèbre) de la recherche médicale en Russie. Afin de réunir les meilleurs étudiants possibles, la plupart des élèves sont boursiers et recrutés sur concours. Seuls sont admis les chrétiens et les musulmans, les Juifs sont refusés (183-57-92-4-96-227-105-121).
Professeurs et élèves appartiennent de juro à l'armée. Les étudiants portent uniforme et sabre et sont soumis à la discipline militaire. En fait, les visiteurs ne trouvent "pas de trace d'esprit militaire. Les étudiants sont calmes et studieux" (107). Paradoxalement, c'est à l'Académie que les chercheurs trouvent le plus de liberté pour leurs travaux.
Si les étudiants sont sélectionnés, les professeurs sont aussi l'élite de la profession. Enseigner à l'Académie Médico-Chirurgicale est considéré comme un grand honneur. Un des premiers directeurs de l'Académie fut le médecin écossais James Wylie, à sa tête de 1808 à 1838. Il sut exiger et obtenir de tous les membres de l'Académie Médico-Chirurgicale un enseignement d'excellent niveau. En 1881, l'Académie change de nom pour devenir l'Académie Impériale Militaire de Médecine (227-105-143-183).
D'abord placée sous la juridiction du ministère de l'intérieur puis de l'instruction publique, l'Académie passe sous le contrôle du ministère de la guerre en 1839. C'est grâce à ce ministère de tutelle que l'établissement est si richement doté. Les maigres moyens fournis au ministère de l'instruction publique ne permettent pas aux autres facultés de médecine de rivaliser avec l'Académie. Tous les visiteurs louent tant la qualité de l'enseignement que l'équipement, les cliniques ou les laboratoires (143-89-107).
La durée des études passe de 4 à 5 ans en 1835. Les étudiants sont rémunérés dès la deuxième année (350 roubles en 1888). Ils doivent ensuite à l'état un certain nombre d'années de service dans l'armée, la marine voire dans l'administration civile. Ils peuvent ensuite exercer où bon leur semble. Parmi les meilleurs élèves de l'Académie Médico-Chirurgicale sont sélectionnés les étudiants qui partiront à l'étranger avec une bourse d'étude. Ils formeront la plupart des futurs privat-docents puis professeurs (143-89).
Notons que l'Académie Médico-Chirurgicale connaîtra des révoltes de ses étudiants
en 1861, 1867, 1869, 1890 et 1905. L'établissement sera même fermé le 15 mars
1869 et quelques étudiants arrêtés (89-226).