B - LES ETUDES MEDICALES ET LES

CARRIERES HOSPITALIERES

 
 

1- L'évolution au cours du XIXe siècle

2- Les Etudes

3- Les Examens

4- Les Docteurs en médecine 

5- Privat-docents et professeurs 

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1- Evolution au cours du XIXe siècle (89)

Dans les universités du début du XIXe siècle, la durée théorique des études est seulement de trois ans. Mais les professeurs sont de plus en plus exigeants et il faut en fait au moins 4 ou 5 ans pour achever son cursus.

En 1835, la durée minimale est portée à 5 ans : deux ans pour les sciences préparatoires puis une année consacrée à la dissection, une à la pratique, et une pour l'anatomie pathologique. 15 matières sont enseignées en 1836 à l'Académie Médico-Chirurgicale : physiologie et physique, histoire naturelle, chimie et pharmaceutique, anatomie, physiologie, pathologie générale, chirurgie et ophtalmologie, obstétrique, jurisprudence médicale, clinique médicale et chirurgicale, littérature (histoire de la médecine, latin, étude des anciens, etc.), art vétérinaire (171).

On peut remarquer que les sujets sont très généraux, les différentes spécialités ne sont pas encore enseignées individuellement. Les cours sont donnés en russe et en latin (sauf à Dorpat, en allemand). Tous les cours de clinique sont en latin. Rappelons que les médecins rédigent (encore aujourd'hui) leurs ordonnances en latin. La pratique est très peu développée, voire inexistante dans certaines facultés. Le niveau général est assez moyen alliant conservatisme et éclectisme.

En 1845, une commission étudie les réformes à apporter à l'enseignement médical. Si la durée des études reste inchangée jusqu'aux révolutions de 1917 et au-delà, l'ordre des matières évolue. L'anatomie et la physiologie font leur apparition en première année. On désire surtout améliorer l'apprentissage pratique. Les travaux de dissection sont encouragés et plusieurs cliniques universitaires s'ouvrent près des facultés. Les étudiants pourront avoir un enseignement au lit du malade. Enfin, les cours et les épreuves en latin sont abandonnés (24).

La fin du XIXe siècle voit l'émergence des spécialités qui vont être enseignées séparément.

2- Les Etudes (89-72-137)

Pour entrer à l'université, il faut avoir passé les huit années d'études classiques (langues mortes, un peu de langues vivantes, peu de sciences) au gymnasium, sorte de collège et lycée réunis. Il faut surtout avoir reçu "l'attestat de maturité", équivalent du baccalauréat, qui se passe devant les professeurs de l'établissement (57).

S'il existe un numerus clausus à l'entrée à l'Académie Médico-Chirurgicale, les autres facultés ne limitent pas le nombre d'étudiants en première année. Les origines religieuses des étudiants sont cependant contrôlées : si chrétiens et musulmans (depuis 1850) ont libre accès aux facultés, il n'en va pas de même pour les Juifs. Ils sont totalement interdits à l'Académie Médico-Chirurgicale (organisme militaire) et seul un quota de 2 à 3% est accepté dans les autres facultés. Remarquons que, riches ou pauvres, des russes de toutes les classes sociales sont admis à l'université, même des esclaves lettrés peuvent avant 1861 être inscrits par leurs propriétaires. La littérature de l'époque fourmille de ces étudiants en médecine sans le sous, présentés comme de jeunes désorientés ou des révolutionnaires (70-167).

Les droits d'inscriptions sont assez modestes (5 roubles par semestre) mais l'étudiant doit en plus payer chaque professeur (environ 1 rouble) dont il suit les cours. La somme totale avoisine 60 roubles par an. Rappelons que les élèves de l'Académie Médico-Chirurgicale sont au contraire rémunérés dès la deuxième année (143).

La rentrée a lieu le 20 août. Deux semestres se succèdent, le premier jusqu'au 20 décembre, le second du 15 janvier au 30 mai. Les étudiants disposent donc de 4 semaines de vacances autour de Noël et de 3 mois durant l'été. L'assiduité aux cours est obligatoire (143).

Le cursus est séparé en période préparatoire (2 ans) puis période clinique (3 ans). Le programme peut légèrement varier d'une faculté à l'autre.

La première année est consacrée aux sciences "accessoires" : botanique, zoologie, physique, chimie. anatomie et physiologie sont en général enseignées sur les deux premières années.

La deuxième année est plus médicale. On finit l'étude de l'anatomie et de la physiologie. On apprend la chimie médicale et la pharmacologie.

A partir de la troisième année, les étudiants commencent à suivre un enseignement pratique dans les hôpitaux cliniques sous la surveillance de médecins hospitaliers. Ils apprennent à examiner un malade, en particulier l'auscultation et la percussion. Leur responsabilité est quasi-nulle, les étudiants ne voient jamais le malade seul et sont très surveillés. Ils continuent à suivre un enseignement théorique axé sur la clinique : pathologie, anatomie pathologique, bandages et appareils, hygiène thérapeutique, pathologie générale, sémiologie.

Pendant la quatrième année, l'activité hospitalière est la même que l'année précédente. Les cours portent sur l'ophtalmologie, l'oto-rhino-laryngologie, l'obstétrique et la gynécologie, les maladies mentales et nerveuses, les maladies infectieuses, la pédiatrie, la médecine légale, la médecine opératoire, la clinique médicale et la clinique chirurgicale.

En cinquième année les étudiants hospitaliers deviennent des "curateurs". Ils peuvent examiner seul les malades, doivent rédiger les observations et dessiner les courbes journalières très complètes, reportant le pouls, la température, la respiration, le poids, l'évolution des urines, des crachats, des fèces. Ils ne prennent cependant aucune initiative médicale. Ce sont approximativement nos externes (pardon, "étudiants hospitaliers"). Les cours théoriques reprennent et complètent les spécialités (89-72).

Quelques remarques :

Le programme est ambitieux mais vague. Les observateurs de l'époque regrettent des cours trop riches et indigestes en si peu de temps (72-57).

L'activité hospitalière est obligatoire pour tous les étudiants. Ils bénéficient d'un contact précoce avec le malade et son examen. Mais nous avons vu que le système, très surveillé et paternaliste, ne favorise pas l'expérience personnelle. L'étudiant participe peu, comme s'en plaint Véréssaiev : "Pendant toute la durée de nos études, nous n'avions presque pas l'occasion de penser ou de travailler de façon indépendante." (219).

Les hôpitaux cliniques reliés aux facultés sont gratuits mais pauvres en malades. Souvent fermés (pendant les vacances), ils ont mauvaise réputation car les russes détestent être examinés par des étudiants. Si le patient refuse l'examen, il doit quitter la clinique (72).

3- Les Examens (137-143-89-107-57)

A chaque fin de semestre, des examens sanctionnent les matières enseignées. Au bout des cinq années d'étude, un "examen d'état" marque l'aboutissement du cursus.

L'étudiant passe alors une longue épreuve orale (uniquement en russe depuis 1845) devant un jury de cinq membres plus un président. On distingue cinq grands groupes de sujets (en 1897) :

premier groupe : a) anatomie descriptive b) histologie c) anatomie pathologique et histologie pathologique d) chirurgie opératoire et anatomie topographique

deuxième groupe :a) physiologie b) pathologie générale c) chimie médicale d) pharmacologie, prescription et eaux minérales e) pharmacie et pharmacognosie

troisième groupe :a) pathologie spéciale et thérapeutiques b) maladies nerveuses et mentales c) dermatologie et syphilis d) pédiatrie e) examen clinique dans les services de médecine f) examen clinique dans les services de dermatologie et vénérologie et en pédiatrie

quatrième groupe :a) pathologie chirurgicale avec réduction et traitement des luxations et fractures b) ophtalmologie c) obstétrique et gynécologie d) chirurgie clinique e) ophtalmologie et obstétrique clinique

cinquième groupe :b) hygiène c) médecine légale et toxicologie d) epizoologie et hygiène vétérinaire

Soit 23 matières (143-89).

Devant chaque examinateur, le candidat tire une question dans une urne pour chaque matière. Il peut refuser la première question mais pas la seconde. Les examinateurs ont le droit d'élargir la question. Les membres du jury notent la prestation en "très satisfaisant", "satisfaisant", ou "insatisfaisant". Pour être reçu, il ne faut pas avoir plus de un "insatisfaisant" sur les 23 notes. Pour avoir les félicitations du jury (cum eximia laude) donnant accès aux bourses pour devenir docteur en médecine, il faut avoir obtenu au moins onze "très satisfaisant" sur 23 et aucun "insatisfaisant" (143). Vers 1910 apparaissent les premières notations chiffrées, de 1 à 5.

Selon le docteur Fuster qui commente les modalités en 1904 "grâce aux systèmes des billets, grâce à l'indulgence des juges, les examens sont beaucoup plus faciles qu'en France." (72)

Véréssaiev dénonce ces examens oraux où "domine le seul pédantisme, transformant l'examen en une comédie grotesque et dénuée de sens". Il raconte : "Celui qui répondait au professeur de dermatologie que la peste est contagieuse recevait une mauvaise note ; et le professeur de pathologie générale en donnait une bonne à qui affirmait la même chose. En général, l'issu d'un examen dépendait entièrement de la personnalité et du caractère de l'examinateur." (219)

A titre d'exemple, voici des questions posées en 1836 à l'Académie Médico-Chirurgicale (128):

Professeur d'anatomie et chirurgie :

Quelle est la structure du cœur, de l'estomac, de l'œil ?

Quelles sont les différentes luxations de hanche ? Comment les distinguer ? Comment réduire chacune d'entre elles ?

Quelle est la structure du testicule ? Décrire l'opération d'ablation du testicule.

Professeur de pratique et physique :

Quels sont les symptômes et la nature de l'épilepsie ? Quelles en sont les étiologies supposées ? Quelles sont les méthodes habituelles de traitement ?

Quels sont les symptômes du delirium tremens ? Quelles sont les influences de l'alcool sur les fonctions du cerveau ?

Décrire les symptômes de l'ophtalmie. Relater l'histoire le l'ophtalmologie égyptienne.

Professeur de physiologie :

L'étudiant doit écrire en latin et en présence du professeur un essai sur le sommeil et l'insomnie.

Professeur de chimie et pharmacie :

Quelle est la composition de l'atmosphère ? Donner une illustration pratique de l'expansion de l'air par la chaleur ? Quelle est la composition de la pilule bleue (?) ?

Professeur de physique :

Décrire les principes de construction du baromètre et du thermomètre.

Professeur de botanique :

Quelle est la classe et l'ordre de la digitale ? Quelles sont ses propriétés médicales?

Professeur d'histoire naturelle :

D'où vient le castor ? Décrire l'animal.

Qu'est-ce que le sel de roche ?

Professeur d'obstétrique :

Décrire les membranes utérines du fœtus.

4- Docteurs en médecine

Comme nous l'avons vu plus haut, le doctorat représente un niveau d'étude supérieur à celui de simple praticien. A l'issu des examens généraux de lékar, l'étudiant est soit ajourné, soit reçu avec deux mentions possibles : "satisfaisant" ou "très satisfaisant" (en latin cum eximia laude). S'il obtient cette dernière, il peut repasser un concours portant sur les mêmes matières mais d'un niveau supérieur. Reçu, il part travailler pendant trois ans comme médecin hospitalier à "l'Institut de Perfectionnement" recevant 1000 roubles par an (187). Là, tout en ayant une activité hospitalière, il pourra se consacrer à la rédaction d'une thèse sur un thème original pour recevoir le titre doctoral. La dissertation est tirée à 500 exemplaires imprimés à la charge du candidat (ce qui représente un coût très important pour l'étudiant de l'époque) (143). A l'issu de la discussion, le candidat devra définir certaines propositions ou conclusions dont au moins six d'ordre médical. La soutenance est publique devant un jury de trois membres, n'importe qui dans le public peut intervenir. En cas d'échec (rare), l'étudiant peut retenter sa chance quelques mois après (143).

 

Un simple lékar peut aussi tenter d'obtenir le doctorat, mais sans possibilité d'avoir une bourse d'étude.

Le titre de "docteur en médecine et chirurgie" exprime un niveau encore supérieur. Outre son titre de docteur en médecine, le candidat doit justifier d'un savoir chirurgical théorique et pratique : présentation des opérations importantes, démonstration de deux opérations sur cadavre, de deux préparations anatomo-pathologiques enfin de deux opérations importantes sur une personne vivante (24). C'est un titre rare, surtout présenté par des chercheurs.

Le doctorat en médecine attire moins de 10 % des effectifs médicaux, il s'agit essentiellement de médecins intéressés par les carrières hospitalières ou universitaires. Toutes précautions gardées, on pourrait le comparer à notre concours d'internat.

5- Privat-docents et professeurs

Après avoir passer leur thèse, les nouveaux docteurs peuvent ensuite passer un autre concours pour l'obtention d'une bourse d'état d'étude à l'étranger. Cette somme (4000 roubles en 1899) permet au lauréat d'aller travailler dans un laboratoire européen de son choix (89-57-107-72). La plupart vont étudier en Allemagne, il existe même à Berlin un "Institut russe pour les consultations médicales" qui offre gratuitement des cours spéciaux pour le perfectionnement des médecins russes (89). D'autres étudiants russes vont également en Suisse (à Zurich) et en France (à Paris). Le médecin est considéré comme spécialiste de la discipline qu'il étudie.

A son retour, le praticien qui étudie la médecine depuis 10 ans au minimum doit à nouveau passer un concours pour atteindre le rang de privat-docent. Celui qui échoue se dirige vers les hôpitaux ou vers l'armée. S'il réussit, il fait alors fonction de chef de clinique, d'assistant ou de chef de laboratoire. Il est attaché à une université à laquelle il doit une leçon par semaine. Le professeur dans l'équipe duquel il travaille, a le pouvoir de choisir ses assistants (72).

C'est dans les rangs des privat-docents que sont choisis les professeurs. Il en existe deux sortes : on est d'abord nommé professeur extraordinaire, ensuite professeur ordinaire, sommet de la carrière. Quand un professeur part en retraite, démissionne ou meurt, la place vacante est pourvue par ses collaborateurs et toute la hiérarchie monte d'un cran. C'est cependant le ministre de l'instruction publique seul qui nomme le nouveau professeur. Même s'il le choisit le plus souvent dans l'équipe de l'ex-professeur, le pouvoir politique se garde ainsi un droit de regard sur les dirigeants des universités. Un candidat trop peu discipliné sera vite écarté. La retraite est imposée après 25 ans de service, sauf autorisation exceptionnelle par le ministère (143-57-72-107-137).

La grande différence avec la France de la même époque tient dans l'absence de concours d'agrégation et la nomination par le pouvoir exécutif.
 

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