E - LES INLUENCES ETRANGERES
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3- L'Angleterre |
4- La France |
Nous avons vu que la médecine russe, disposant très tard d'un enseignement national, est d'abord une médecine "sous influence".
Dès l'antiquité, des missionnaires chrétiens et des marchands arabes diffusent les idées et les traitements de la médecine gréco-romaine classique (174-172).
Après la christianisation orthodoxe du pays, les principaux apports médicaux viennent de Byzance dont la culture rayonne jusqu'au XVe siècle. On peut aussi relever quelques médicaments nouveaux véhiculés depuis la Chine par les envahisseurs tatars et depuis l'Inde par l'Asie Centrale (193-200-172-143).
Après la fin de la domination mongole, la Russie s'ouvre à nouveau aux pays étrangers. C'est de l'Europe occidentale désormais que la science pénètre le pays.
Ivan le Terrible, en conflit avec la ligue Hanséatique de la Baltique, est ravi d'ouvrir des relations diplomatiques avec l'Angleterre par le port d'Arkhangelsk sur la très septentrionale mer blanche. De là arrivent les nombreux médecins qu'Ivan réclame sans cesse à Elisabeth d'Angleterre (143-76-231-194).
Au XVIIe siècle, les possibilités de communications s'améliorent en Europe. De très nombreux médecins viennent tenter fortune en Russie dont beaucoup d'allemands. Pour combattre les nombreux charlatans qui se joignent au mouvement, on instaure une sélection sévère à l'entrée du pays (76).
Pierre le Grand accélère l'importation de savants. Aux anglais dont il se méfie, il préfère les allemands et surtout les hollandais (183-84).
Malgré l'école de médecine que fonde Pierre, la demande en médecins étrangers est toujours très forte au XVIIIe siècle. De plus, les étrangers occupent presque tous les postes médicaux importants dans les universités et les administrations. Si quelques personnalités nationalistes de la fin du XVIIIe siècle souhaitent se passer de ces médecins étrangers, il faut reconnaître que c'est encore impossible (143-167).
En 1809, sur les 2596 médecins recensés dans l'empire, seulement 1187 (45%) sont russes d'origine (221).
"Pour eux [les russes], il n'y a de médecine et de médecins qu'en Allemagne" rapporte en 1902 le docteur Marcou, médecin français chargé de mission en Russie (138). Le raccourci peut paraître brutal mais il exprime l'ascendant prépondérant du voisin germanique.
Depuis fort longtemps, les médecins allemands se sont implantés en Russie. Les règnes des tsars allemands (Pierre III, Catherine II) ou germanophiles (Pierre 1er), ont favorisé leur immigration.
Pierre le Grand prend aux suédois la ville de Dorpat (aujourd'hui Tartu en Estonie) où siège depuis 1632 une université. Alexandre 1er décide sa réouverture en 1802. Cette nouvelle université russe mais aux cours en langue allemande devient un pont scientifique entre les deux pays. Pendant la première moitié du XIXe siècle, on y voit deux sortes d'étudiants en médecine. Les élèves germanophones des pays baltes d'abord, très motivés par la médecine (Von Baer fut de ceux-là). Et les étudiants des autres facultés de médecine russes qui, ayant obtenu leur diplôme, viennent à Dorpat en perfectionnement avant leur stage de deux ans à l'étranger, presque toujours en Allemagne (89-91-143).
Pirogov raconte comment, jeune professeur nommé à Dorpat, il est raillé par ses étudiants à cause de son allemand hésitant. Ils n'ont qu'exceptionnellement des professeurs non-germanophones (159-91).
De nombreuses structures médicales dont l'organisation des études médicales sont d'origine allemande (72).
Même dans les petites villes de province, le poste d'inspecteur médical est souvent tenu par un allemand. Gogol peut alors se moquer de ces médecins qui ne comprennent pas un mot de la langue de leurs patients (voir page 215) (82).
L'influence allemande décroît lentement avec l'ascension sociale des classes moyennes et le développement industriel (167). Les lékars de la deuxième moitié du XIXe siècle sont presque tous d'origine russe avec une formation russe. Chez les chercheurs et les professeurs par contre, l'Allemagne garde une place capitale. La plupart, pour ne pas dire la totalité d'entre-eux ont fait au moins un stage en Allemagne. Berlin possède un institut réservé au perfectionnement des médecins russes (138). De grands noms rassemblent autour d'eux les jeunes chercheurs russes qui réalisent leurs premiers travaux. C'est en particulier le cas de Ludwig (1816-1895) à Leipzig : dans les années 1870 et 1880, presque tous les professeurs de médecine de Pétersbourg ont travaillé chez lui (4). Notons enfin que la plupart des publications internationales des médecins russes sont écrites en allemand.
L'essentiel de l'influence anglaise sur la médecine russe date des XVIe et XVIIe siècles. Elle perd ensuite la majeure partie de son poids au profit de l'Allemagne. Entre 1770 et 1825 on ne compte que 33 médecins anglais en Russie. Au début du XIXe siècle cependant, trois britanniques (tous écossais fuyant la misère de leur pays) se trouvent à la tête des trois principaux organismes médicaux : Leighton à la marine, Wylie à l'armée et Crichton pour le département civil. Nous présenterons rapidement ces deux derniers (128-183).
Alexandre Crichton (1763-1856) est
connu pour ses travaux sur les troubles du langage. En 1804 il quitte la
Grande-Bretagne pour une position de médecin personnel du tsar. Mais Crichton
désire bientôt rentrer dans sa patrie, ce qu'Alexandre 1er lui refuse. Couvert
d'argent et d'honneurs dans sa cage dorée, il n'est autorisé à quitter la
Russie qu'en 1819 (66-183).
Le reste du siècle ne verra que peu d'apport britannique. Nous n'avons en particulier retrouvé presque aucun chercheur russe qui suive des travaux auprès d'un savant anglais.
Le début des relations médicales franco-russes date de la visite en 1717 de Pierre le Grand à Paris. Le tsar visite alors des hôpitaux et l'Académie des Sciences, il tente (sans grand succès) de favoriser les échanges entre savants français et russes (200-18).
Vers la fin du XVIIIe siècle, l'université de Strasbourg devient le principal centre de perfectionnement des médecins russes. Les docteurs en médecine russes y sont soutenues presque toutes leurs thèses avant l'autorisation aux universités russes de délivrer le doctorat en 1791. Strasbourg joue un peu le rôle que Berlin aura pendant le XIXe siècle (59-18-58).
Mais deux événements refroidissent les relations entre les deux pays. La révolution française (la décapitation de Louis XVI effraye beaucoup Catherine II), et surtout l'invasion napoléonienne de 1812 et la prise de Moscou. Même au sein des intellectuels les mieux disposés le coup est rude. Les plus conservateurs rejettent tout ce qui est français, les plus francophiles ou progressistes condamnent en Napoléon le fossoyeur des idéaux de la Révolution. Si le français continue d'être la première langue des aristocrates russes, l'influence scientifique de notre pays est réduite à la portion congrue pendant toute la première moitié du XIXe siècle. Signalons Pirogov qui fit en 1837 un voyage d'étude en France (treize jours en diligence de Dorpat à Paris). "Au point de vue chirurgical, Paris ne me fit pas bonne impression. Les hôpitaux avaient l'air morne et la mortalité y était grande." Il n'y apprend pas grand chose et retient surtout la fatuité des gloires parisiennes (Amussat, Lisfranc, etc.). Velpeau seul trouve grâce à ses yeux (159-91).
Nous avons vu l'importance prise alors par la science allemande. Vers la fin du siècle cependant, un certain équilibre sera rétabli. Les raisons en sont d'abord politiques. Malgré une nouvelle guerre contre la France et l'Angleterre en Crimée en 1855, les relations se réchauffent. Les deux pays, isolés diplomatiquement, signent en 1891 l'alliance franco-russe. Les chercheurs russes d'autre part, attirés par la réputation de certains grands noms, viennent compléter chez nous leur formation. Claude Bernard ouvre son laboratoire à plusieurs russes (Ousjanikov, Jaboubovitch, Setchénov) ainsi que Charcot (Bechtérev, Kojevnikov, Darkschevitch) (4). Mais c'est surtout Pasteur qui va attirer les savants russes.
Pasteur et la médecine russe (58)
Le grand savant exprimait souvent sa sympathie pour la Russie et son peuple. Il soutient le rapprochement entre les deux pays bien avant la signature de l'alliance franco-russe (58). Il envisage même un voyage en Russie pour étudier la peste de Sibérie en 1881 (58). Pasteur surtout ne cesse de correspondre avec des chercheurs russes et de s'entourer de collaborateurs venant de l'empire des tsars.
Metchnikoff est le plus célèbre d'entre eux. Pasteur accueille le microbiologiste avec bienveillance en 1888 après son départ de Russie et ses deux tentatives de suicide. Metchnikoff travailla pendant 28 ans à l'Institut Pasteur, d'abord comme chef de service, puis à partir de 1904 en qualité de sous-directeur responsable des études scientifiques. Il y trouva la paix nécessaire à son travail (215).
Citons également Vinogradski, Bardach, Beresda, Weinberg, etc.(191)
En 1885, le prince Oldenbourg envoie à l'Institut Pasteur un de ses officiers mordu par un cheval enragé. Le médecin qui l'accompagne à Paris reçoit de Pasteur les indications pour préparer le vaccin. Dès 1886, une petite station antirabique est ouverte à Petersbourg, elle deviendra plus tard l'Institut Impérial de Médecine Expérimentale.
Plusieurs zemstvos payèrent pour des victimes de la rage le voyage à Paris pour y être traité à l'Institut (145).
Gamaléia, élève de Metchnikoff, vient également chez Pasteur pour apprendre les techniques antirabiques. De retour à Odessa, il y fonde en 1886 la deuxième station Pasteur de Russie (58-191).
Après la mort de Pasteur en 1895, son institut continue d'être un lieu privilégié pour les chercheurs russes.
Rappelons que la terre française fut souvent terre d'asile pour les savants russes qui fuyaient les brimades du gouvernement tsariste (Metchnikoff, Cyon, etc.). L'attitude libérale de la faculté de Paris envers les étudiantes en médecine attira beaucoup de jeunes russes quand "l'Institut Médical Féminin" ferma en 1882.
Remarquons enfin que l'influence
française se manifeste surtout sur la recherche et les savants. Contrairement
aux allemands, on ne vit que de rares médecins français s'installer en Russie
pour y pratiquer. Le Dr Marcou, chargé de mission en Russie, est appelé vers
1903 par une dame au chevet de sa fille : "Avec une franchise un peu
brutale, elle s'étonna beaucoup de voir un médecin français installé en Russie.
Une danseuse, un coiffeur ou un bon cuisinier, voilà notre triple article
vivant d'exportation en Russie comme ailleurs. [...] C'est dans ces termes peu
flatteurs pour mon amour-propre, que m'accueillit ma cliente. Elle n'exprimait
qu'ouvertement ce que j'entends tout bas ici à chaque instant". (138)