E - LA MEDECINE DES ZEMSTVOS

 

 1- Introduction

2- Les Bases institutionnelles

3- Les Débuts

4- Système ambulant ou système stationnaire ?

5- Le Rôle du zemstvo de la province de Moscou

6- L'évolution

7- Médecine curative

8- Médecine préventive

9- Le Budget

10- Les Médecins au zemstvo 

11- Les Provinces qui n'ont pas de zemstvo

12- Avenir et transformation

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1- Introduction

L'émancipation des serfs est proclamée le 19 février 1861. Dans le but de mieux administrer cette nouvelle population libre (environ 46 millions de paysans), le gouvernement central décide d'accorder une large autonomie de gestion aux deux tiers des provinces de la Russie d'Europe. Il s'agit de décharger l'état d'un travail administratif considérable mais aussi de tenter une expérience de décentralisation et même de démocratisation limitée.

Nous allons voir quelle incidence extraordinaire cette mesure aura sur la santé du peuple, sans que le pouvoir l'ait voulu ou même souhaité. La triste période réactionnaire de la fin du XIXe siècle reviendra sur plusieurs points libéraux importants ; mais l'essentiel est acquis, l'assistance médicale et chirurgicale gratuite de la population ne pourra être remise en question. La Russie passe d'une situation sanitaire désastreuse au début du XIXe siècle à une des meilleures couvertures médicales d'Europe, anticipant les organisations sociales d'après-guerre.

2- Les Bases institutionnelles

En 1864, le gouvernement d'Alexandre II révolutionne la gestion des campagnes. Le système antérieur date de Catherine II, l'administration du territoire est pour une large part confiée à des fonctionnaires nommés par l'état sous l'autorité d'un gouverneur, sorte de préfet. Autre autorité, souvent fantoche, la noblesse locale (les grands propriétaires) élit son représentant, le maréchal de la noblesse de province ou de district qui jouit d'une certaine participation à la politique régionale (164-154-168-124).

Cette structure est maintenue mais la réforme décentralise la gestion de nombreux secteurs au zemstvo, assemblée régionale élue. Le terme vient du russe zemlia, "la terre" ; le zemstvo c'est l'assemblée des propriétaires de la terre. On distingue le zemstvo de district, et le zemstvo de province, le second étant soumis au premier. Les zemstvos sont instaurés dans 34 des 50 provinces de la Russie d'Europe (figure 48). En sont exclues les provinces des frontières de l'empire qui, moins sûres et moins russes, continuent d'être directement administrées par un gouverneur à la liberté d'action d'autant plus étendues qu'il est loin de Saint-Pétersbourg (164-154-168-124).

figure 48 : carte des 34 provinces à zemstvos de la Russie d'Europe (154)

 Tous les trois ans, la liste des électeurs du district est dressée, y figurent tous les sujets russes de plus de 25 ans, propriétaires d'une surface de terres ou d'un immeuble de valeur. La taille des surfaces requise pour être électeur (le cens territorial) varie d'une région à l'autre de 137 à 874 hectares. L'important est que tout propriétaire peut être électeur quelle que soit sa classe sociale. Les petits propriétaires (possédant au moins un dixième du cens) ont même une possibilité de participation. 15 à 40 représentants sont élus par district, ils élisent parmi eux 2 à 7 délégués siégeant au zemstvo de province. Les assemblées de district et de province se réunissent une fois par an pour adopter le budget et donner les orientations générales. Elles élisent des bureaux de zemstvo, permanents, qui font office d'organe exécutif avec sous leurs ordres un personnel salarié (164-154-168-124).

Un grand nombre de questions d'intérêt local entre dans les attributions du zemstvo : la perception des taxes foncières, l'instruction publique, la voirie, les assurances, les réserves alimentaires en cas de disette, la protection contre l'incendie et, de façon très générale et vague, la santé (164-154-168-124).

L'organisation a rapidement un succès considérable qui effraye le pouvoir central. Les zemstvos se révèlent vite un creuset pour les idées libérales. La timide démocratisation encourage les critiques sur l'autocratisme. Après l'assassinat du tsar Alexandre II, son fils cherche à freiner les réformes ; son souhait ouvertement affiché est de "ramener [son] pays 50 ans en arrière". En 1890 les zemstvos sont profondément modifiés. Le nombre des représentants nobles augmente fortement par la création d'une assemblée qui leur est réservée. Sous surveillance étroite des gouverneurs, les compétences des zemstvos se réduisent considérablement (164-154-124-168).

3- Les Débuts

Le règlement fondateur de 1864 assigne aux zemstvos "la gestion des établissements de bienfaisance et d'autres moyens d'assistance, ensuite la partie économique, les soins (déterminés par la loi) à donner à l'instruction et à la santé du peuple et aux prisons" (cité in 154). On peut voir que le cadre défini de l'action sanitaire n'a que des limites fort vagues. Le point le plus précis concerne l'administration des hôpitaux et hospices préexistants. Les 375 districts des 34 provinces possèdent en 1865, 351 établissements qui sont cédés aux zemstvos. Tous les témoignages s'accordent pour dénoncer le délabrement des bâtiments. Depuis plusieurs années, les gestionnaires locaux, prévoyant le transfert du budget régional aux zemstvos, ne subventionnent plus aucune réparation. La première tâche sera donc de restaurer voire de reconstruire les hôpitaux et d'engager des médecins pour y travailler (154-49-76-124).

Plusieurs problèmes surgissent. Qui paie les soins ? Qui soigne ? Quelle structure de santé adopter ?

Les soins hospitaliers ou de consultations héritent d'abord des anciennes habitudes. L'hôpital est payant et cher, l'hospitalisation coûte de 5 à 7 roubles par mois. C'est inaccessible pour une famille modeste de 6 personnes gagnant en moyenne moins de 40 roubles par an (130). Les hôpitaux sont sous-utilisés. La première victoire importante du zemstvo va consister à imposer la gratuité des soins. Il est décidé un peu partout de réserver une part de la fiscalité des foyers à l'entretien des hôpitaux.

Mais ces hôpitaux, trop rares, sont souvent très éloignés des lieux de vie de la population. Il est donc décidé d'aller soigner les malades où ils sont. On engage en grand nombre du personnel médical à bas prix, les feldshers. Certains veulent voir en eux le rouage essentiel de la médecine de zemstvo. Mais bien vite des problèmes apparaissent, révélant le danger de confier des missions médicales complexes à du personnel à la formation réduite. Des feldshers seuls s'occupent de régions entières. Si certains s'en sortent bien d'autres, plus nombreux, accumulent les erreurs. Cependant ni la démographie médicale ni les finances des zemstvos ne permettent de n'employer que des médecins qualifiés (154-165).

Un autre débat de fond recherche la définition même de la médecine de zemstvo. Doit-elle être curative ou préventive ? Là aussi, plusieurs thèses s'affrontent. Les volontés médicales cèdent souvent sous les arguments économiques des administrateurs. Les médecins doivent apporter la preuve que leurs vues sont les meilleures, mais les données sont trop peu précises pour évaluer les besoins réels de la population. C'est le zemstvo de Kazan qui, sous la direction du Dr Popov, organise les premières missions statistiques. Le succès de ces études les font étendre aux autres zemstvos. En même temps qu'on connaît mieux l'état de santé de la population, il devient évident d'engager les travaux des zemstvos vers l'éducation sanitaire et l'amélioration de l'hygiène (154-11).

En bref, la question d'importance qui agite les zemstvos de 1870 à 1890 est : comment offrir à toute la population une aide médicale qui soit la meilleure possible pour un financement raisonnable ?

4- Système ambulant ou système stationnaire ?

Dès le début, la plupart des médecins souhaitent travailler dans de petits hôpitaux dispersés sur tout le territoire où ils recevraient les malades. Ce système dit "stationnaire" s'il est le meilleur est aussi beaucoup trop coûteux pour les premiers administrateurs. On lui préfère le système dit "ambulant" ou "des tournées", où le médecin parcourt la campagne de village en village, soignant les malades près de leur domicile en particulier les jours de marché. Les feldshers restant sur place amènent aux médecins les patients posant problème. Les feldshers sont ainsi les véritables médecins de proximité. Outre son faible coût, le système apparaît comme plus égalitaire car les patients ne sont pas obligés de se déplacer. Son seul avantage médical est l'éducation hygiénique et sanitaire que le médecin peut diffuser in situ et qu'il rappelle à chacun de ses passages. Les inconvénients sont très nombreux. Les médecins passent leur temps en voyages éreintants à la recherche de malades tandis que les feldshers dépassés battent eux aussi la campagne pour retrouver le médecin. Au total, un va-et-vient peu efficace et presque comique si certains malades gravement atteints n'échappaient aux tournées. D'autre part, on confie aux feldshers de grandes responsabilités qui semblent outrepasser leurs connaissances.

Les médecins de zemstvos commencent à s'organiser, ils fondent des associations et se réunissent. Ils manifestent leur mécontentement devant ce système épuisant et absurde. Mais les responsables rétorquent que les médecins sont surtout soucieux de leur confort. Les vrais blocages sont économiques, on assiste encore (et déjà) à un conflit entre le parti de la science et le parti des finances (124). En 1880, la cause semble entendue, 88% des districts de zemstvos pratiquent le système ambulant.

5- Le Rôle du zemstvo de la province de Moscou

La province de Moscou est une des plus petites de Russie, mais la proximité de la vieille capitale la dote d'une situation privilégiée. Comprenons bien que le zemstvo de Moscou ne s'occupe que des 50.000 km² de campagne entourant la ville ; Moscou même possède sa propre administration. Mais la ville paie des taxes pour son zemstvo ce qui lui procure des fonds importants. Ce capital financier qui appartient au zemstvo, les dirigeants refusent d'abord de le dilapider pour de l'aide médicale. En 1871, le zemstvo de Moscou n'est qu'au 19e rang (sur 34 zemstvos de province) des dépenses médicales relatives (124)

En 1873, les résultats statistiques du zemstvo de Kazan commencent à intéresser la province de Moscou. Une commission sanitaire est créée pour mener des études statistiques dans la région, surtout concernant la syphilis. Cette commission, comprenant 4 médecins sur 11 membres est dirigée par le Dr Ossipov. Le rapport de cette étude sera la base de l'action future de tous les zemstvos. La première conclusion est qu'il faut réorganiser le fonctionnement médical du zemstvo, réunir prévention et médecine curative dans un même programme. Mais surtout "hygiène rationnelle et administration éclairée peuvent faire plus pour la santé publique que l'art du médecin". Enfin, la commission recommande l'instauration du système statique, seul capable de proposer une médecine de qualité et un recueil efficace des informations statistiques (154-11).

Le tour de force d'Ossipov sera de convaincre en 1877 les responsables du zemstvo de Moscou d'utiliser les capitaux dormants au financement du programme sanitaire. En 1878, le zemstvo de province construit son premier hôpital rural (154).

L'objectif est qu'un hôpital rural de 5 à 10 lits dispense ses soins sur une petite région (le "rayon") de façon à ce que le paysan n'ait jamais plus d'une quinzaine de kilomètres à parcourir. Le médecin, assisté d'un ou deux feldshers et d'une sage-femme reste en permanence à l'hôpital où il reçoit les patients en consultation et s'occupe des quelques hospitalisés. Il peut être amené à quitter l'hôpital pour une urgence mais il envoie le plus souvent un feldsher en visite. C'est souvent le feldsher également qui est chargé des tournées de vaccination.

 

figure 49 : évolution comparée entre le nombre d'hôpitaux avec médecins (système stationnaire) et les points médicaux tenus par des feldshers (système ambulant) dans le zemstvo de Moscou de 1867 à 1897 (154)

 

6- L'Evolution

L'énergie déployée est impressionnante (figure 50). Les 351 hôpitaux en ruine de 1865 font place en 1890 à 1422 centres médicaux dont 1068 hôpitaux comprenant 26.571 lits. Les zemstvos emploient en 1890, 1805 médecins (contre 756 en 1870), 8046 feldshers et 2454 sages-femmes. Pour la seule année 1897, 46.195 patients sont hospitalisés. Surtout, grâce à la gratuité des soins, les paysans ont oublié leurs répugnances. En 1879 78% des consultants sont des agriculteurs illettrés. L'activité externe dans la région de Moscou passe de 65.000 consultations en 1878 à 1,3 millions en 1897 (124-76-154).

 

figure 50 : évolution des nombres de malades et de consultationsau zemstvo de Moscou de 1879 à 1897 (154)

 

Un très gros effort est fourni pour les soins aux malades psychiatriques. Auparavant, mêlés aux autres hospitalisés, souvent brutalisés par les infirmiers, ils étaient largement négligés (201-167-119). Vers 1875, on ne recensait que 1167 lits psychiatriques dans les hôpitaux ruraux alors que la population de malades devait atteindre 127.500 selon les estimations (154). Les zemstvos leur construisent des hôpitaux spécialisés ; en 1893 ils peuvent accueillir 9055 malades psychiatriques (154).

 

figure 51 : évolution de la couverture sanitaire dans le zemstvo de Moscou de 1868 à 1896 (chaque disque blanc est une région de 16 kilomètres de rayon centré par un hôpital) (154)

La figure 51 montre l'évolution de la couverture médicale par la création des hôpitaux de proximité dans la province de Moscou. Il n'y a presque plus de village qui soit à plus de 16 kilomètres (unité de rayon adopté) d'un établissement.

7- Médecine curative

Nous pouvons encore prendre exemple sur les remarquables statistiques valétudinaires du zemstvo de Moscou pour appréhender l'activité médicale. Ces résultats qui compilent 4,8 millions de diagnostics de 1883 à 1896 ont déjà été étudiés au chapitre des statistiques médicales.

8- Médecine préventive

Plus encore que la médecine curative, c'est la prévention et l'hygiène qui passionnent les médecins-dirigeants du zemstvo. Citons en particulier Ossipov et le Suisse Erismann qui font office de pionniers en la matière et y consacrent leur vie entière. Il est vrai que la situation est mauvaise. Manque d'éducation, incurie de l'administration, négligences, tout concourt à laisser les campagnes vivre dans des conditions sordides. Les constats édifiants rapportés aux premiers congrès des zemstvos font vite place aux premières mesures.

L'époque découvre la dimension sociologique de la médecine. Certaines banalités d'aujourd'hui sont alors des découvertes. Naoumov en 1878 dénonce "les conditions de vie [qui] ont une terrible influence sur le taux de mortalité." (124) Erismann brise les clichés sur les facteurs climatiques qui seraient la cause de la mortalité infantile, "pauvreté et manque d'éducation, voilà les principaux responsables"(124), et l'illustre chirurgien Pirogov de s'exclamer "les zemstvos doivent combattre l'ignorance des masses" (154). C'est le pouvoir tsariste qui est implicitement visé par ces dénonciations et plusieurs médecins, célèbres ou non, entrent en conflit avec le gouvernement (124).

L'action hygiénique se répartit en plusieurs postes :

a) lutte contre les épidémies

Le problème principal réside dans la détection aussi rapide que possible des premiers cas. Les paysans avaient souvent tendance à cacher ceux d'entre eux qu'atteignait une épidémie pour ne pas payer les frais médicaux, retardant ainsi la déclaration de la maladie. L'installation du système stationnaire de proximité facilite grandement le dépistage. En cas d'épidémie, les mesures comprennent l'isolement des malades, la désinfection des lieux contaminés, la déclaration officielle et éventuellement la mise en quarantaine du secteur délimité par les autorités régionales (154).

 b) vaccination

Nous avons déjà vu que la vaccination était avant les zemstvos le domaine d'inoculateurs privés avec des résultats qualitatifs médiocres. Les médecins de zemstvo obtiennent vite le monopole de la fabrication et de la diffusion de la vaccine. Les anciens inoculateurs doivent soit disparaître soit être soumis à une stricte surveillance. Mais le matériel variolique reste difficile à obtenir et de qualité inégale. En 1884, le zemstvo de Moscou construit une étable-laboratoire pour produire de la lymphe de veau vacciné de bonne qualité. Les femmes-médecins qui la dirigent vers 1900 peuvent fournir gratuitement les districts de la province et même parfois d'autres zemstvos contre rémunération. Des campagnes de vaccination de masse sont régulièrement organisées (154).

c) surveillance des usines

En 1890, une loi sur le travail impose aux entrepreneurs de soumettre les plans des nouvelles usines au zemstvo. Il s'ensuivra une collaboration parfois étroite entre les fabriques et les médecins du zemstvo qui obtiennent souvent de grandes améliorations sanitaires. Mais en 1898, une ordonnance du ministère de l'intérieur transmet la médecine d'entreprise des zemstvos à la chambre du conseil des fabriques où les médecins ont beaucoup moins de poids (154).

d) surveillance des écoles

Une autre réforme capitale des zemstvos est l'intérêt apporté à l'éducation dans les campagnes. Les médecins des zemstvos veillent sur la construction des écoles, la santé des élèves et comptent sur l'éducation des enfants pour améliorer l'hygiène des foyers. Les instituteurs sont associés à la surveillance sanitaire et à la propagation des mesures d'hygiène (154).

e) surveillance des eaux

Le problème de l'eau potable devient central dans la lutte contre le choléra. On voyait parfois des populations boire des eaux d'étangs parfaitement insalubres. La commission sanitaire du zemstvo promeut la construction de nombreux puits et réservoirs et effectue des analyses régulières.

9- Le Budget

La principale ressource financière du zemstvo vient de l'impôt foncier touchant toute terre ou immeuble donnant des revenus. Il représente 69% des recettes du zemstvo. Le tiers restant est fourni par diverses taxes locales et amendes (179).

En 1895, les 34 provinces disposent d'un budget annuel total de 65 millions de roubles (173 millions de francs-or de l'époque) contre seulement 5 millions en 1864. Il faut ajouter 111 millions de roubles (295 millions de francs-or) de capitaux divers provenant des investissements antérieurs des zemstvos (179-154).

Les dépenses du zemstvo se divisent en dépenses obligatoires prescrites par la loi et dépenses facultatives. Sont obligatoires l'entretien des administrations, de la voirie, l'assistance publique et les mesures contre les épidémies. Les dépenses facultatives "que les zemstvos peuvent délibérément s'imposer" dit le texte, sont l'instruction publique, le service médical et "celles pouvant contribuer au bien-être de la population". En 1877, la médecine représente encore moins de 1% des dépenses mais la situation évolue vite (124-179-154).

En 1895, 27% des dépenses sont consacrées à la médecine ce qui en fait de loin le poste financier le plus important devant l'instruction publique (16%). Les détails des dépenses médicales du zemstvo de Moscou en 1898 sont proposés dans le tableau 4.

 tableau 4 : répartition des dépenses médicales du zemstvo de Moscou en 1898 (154)
 

Dépenses médicales du zemstvo de Moscou en 1898

zemstvos des districts

zemstvo de province

au

total

 

roubles

taux

roubles 

taux

roubles

taux

entretien du personnel médical des dispensaires

162.632

28%

32.986

9%

195.618

22%

tournées du personnel

17.441

3%

4.925

1%

22.366

2%

entretien des dispensaires et dépenses pour médicaments

249.411

45%

144.963

39%

394.374

43%

nouveaux dispensaires et réparations

114.181

20%

123.074

33%

237.255

25%

organisation sanitaire

0

-

49.627

14%

49.627

6%

lutte contre les épidémies

3.125

1%

11.560

3%

14.685

1%

dépenses diverses

15.695

3%

-

-

15.695

1%

TOTAL 

562.485

 

367.135

 

926.620

 

Notons que les soins donnés gratuitement sont en fait subventionnés par la population sous forme d'impôt foncier. Toutes les catégories sont concernées puisque depuis la libération des serfs, ils sont pour la plupart devenus des petits propriétaires (un hectare en moyenne par personne) sujets à l'impôt. La participation des petits paysans est importante puisque 27% des recettes leur sont dues.

Vers 1900 les dépenses de santé coûtent en moyenne 34 kopecks par an et par habitant mais sont sujettes à de grandes disparités (131-106-154-179).

10- Les Médecins au zemstvo 

Quand un hôpital se crée et qu'un poste de médecin est à pourvoir, les candidats sont sélectionnés par les zemstvos eux-mêmes. La concurrence est parfois vive, on a vu jusqu'à cent demandes pour un poste. Une fois admis, le médecin est assuré d'une paie correcte sinon confortable (1000 à 1200 roubles par an) et d'un logement de fonction. L'emploi n'est cependant pas totalement sûr, le médecin peut être renvoyé au bon vouloir du zemstvo. A partir de 1895 il doit cotiser à une caisse de retraite.

Le travail peut commencer. Il ne manque pas, les zemstvos emploient 15% de la profession médicale pour soigner 45% de la population russe. Le médecin est en général seul dans un hôpital avec pour l'aider un ou deux feldshers et une sage-femme. En permanence de garde, il doit répondre jour et nuit à toutes les sollicitations. Si les hospitalisés sont peu nombreux, les patients se succèdent à toute allure, les journées de cent consultations sont fréquentes. Le travail harassant, la solitude personnelle et professionnelle dans un village reculé et arriéré est souvent difficile à vivre pour ces jeunes diplômés. Certains sombrent dans la dépression et l'alcoolisme, le taux de suicide est très élevé dans un pays où si peu se donnent la mort. D'autre plus rares se perdent dans les pièges de la morphine. Les maladies infectieuses en particulier le typhus font des ravages dans la profession (219-27-154-201-25)

Boulgakov dans ses Récits d'un jeune médecin (25) raconte avec génie son expérience. Les angoisses, les succès, les échecs, le difficile apprentissage d'un métier mais d'abord le dévouement.

En fin de compte la médecine rurale du zemstvo est la pratique médicale qui séduit le plus les médecins de l'époque. Les jeunes lékars enthousiastes qui se pressent aux portes des zemstvos sont bien sûr attirés par la sécurité financière mais la plupart croient réellement en leur mission auprès du peuple. Toute la jeunesse de l'époque lit avec ferveur les appels humanistes et volontaristes de Tolstoï. Le zemstvo devient un lieu de débats d'idées intenses voire de liberté. Par les congrès et les revues médicales, les médecins expriment leurs expériences et leurs espoirs en une société meilleure.

La fondation en 1883 de la Société Pirogov va peu à peu rassembler la majeure partie des médecins de zemstvos et devenir l'organe fédérateur et autonome de toute la santé publique russe. Nous verrons plus loin quelle part active elle prendra dans la vie médicale de l'empire et même dans sa vie politique (154).

Les médecins sont devenus au zemstvo des interlocuteurs respectés de la politique médicale. Ils sont représentés en nombre dans les commissions sanitaires qu'ils dirigent parfois eux-mêmes. Toutes les réformes médicales du zemstvo sont dues à leurs travaux statistiques et à leurs participation de plus en plus importantes dans les organisations officielles. De façon rare en Russie comme ailleurs, la profession a su imposer son projet de médecine de masse au pouvoir, au moins régional.

 11- Les Provinces qui n'ont pas de zemstvo

Elles restent sous la juridiction directe du gouverneur et de la bureaucratie. La hiérarchie médicale correspond à ce qui a déjà été exposé. Certains progrès sont réalisés mais sans comparaison avec le travail des zemstvos. Quelques chiffres peuvent nous renseigner, ils ne prennent pas en compte les provinces très occidentalisées des pays baltes.

Si les dépenses médicales sont en moyenne de 34 kopecks par an dans les provinces à zemstvos en 1892, elles n'atteignent que 16 kopecks dans les autres. Certaines provinces polonaises, complètement négligées, ne reçoivent que 6 kopecks par an et par habitant ! A population égale, les habitants des autres provinces sollicitent les médecins deux fois moins que dans les zemstvos, les hospitalisés y sont trois fois moins nombreux.

L'extension tant attendue du zemstvo à toutes les provinces de la Russie d'Europe fut pressentie vers 1900 mais finalement ne fut jamais accordée. En 1917, le territoire de la Russie d'Europe est toujours divisé en deux zones distinctes.

12- Avenir et transformations

A la veille de la Première Guerre Mondiale, l'institution s'essouffle. Les conflits avec le pouvoir ont rendu suspects les dirigeants des zemstvos. Une ordonnance de 1890 a considérablement réduit l'autonomie des provinces, elles sont désormais étroitement surveillées par les gouverneurs. Les figures emblématiques disparaissent, Erismann est congédié par le régime tsariste en 1896, Ossipov meurt en 1904.

De nombreuses voix s'élèvent pour réclamer une réforme des zemstvos. Mais il y aurait tant de choses à changer dans la Russie d'alors, etc. Les réformes s'enlisent, la révolution et la guerre civile enterrent le zemstvo. Mais c'est sur ses travaux que va se bâtir toute la santé publique de l'URSS.
 

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