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LES HOPITAUX
1- Les Hôpitaux avant le XIXe siècle
Les premiers hôpitaux apparaissent en Russie avec l'établissement des premiers monastères dès le Xe siècle. Ce sont des établissements tenus par des religieux mais qui peuvent employer des praticiens laïcs. Ces hôpitaux ont vocation d'accueillir et de soigner gratuitement les malades et les indigents (143-76-221).
Dès le XVIe siècle, on trouve mention d'hôpitaux civils fondés et entretenus par des municipalités ou des corporations. Quelques bâtiments de bienfaisance voient le jour comme celui du riche boyard Rtitchev. Il construit à ses frais en 1682 un hôpital pour invalides qu'il subventionne et visite souvent. Ces initiatives sont bien entendu marginales (128-143).
L'état commence au XVIIe siècle à bâtir des hôpitaux mais c'est surtout pour les soins de son armée. La Russie commence à intervenir militairement dans la politique européenne. Elle modernise ses troupes et doit leur fournir une meilleure assistance médicale.
C'est Pierre le Grand qui bâtit le premier vrai hôpital russe. Le tsar visite en 1698 l'hôpital anglais de Greenwich dont la rationalité et la modernité le séduisent. C'est sur ce modèle qu'il décide par oukase du 25 mai 1706 de bâtir un établissement hospitalier dans le faubourg allemand de Moscou. Le Gofspital ("hôpital de cour" en allemand) est inauguré en 1707, soit une année seulement après le début des travaux. L'établissement, couplé avec la première école de médecine russe, est dirigé par le hollandais Nicolas Bidloo. Plusieurs incendies ravagent le bâtiment en bois qu'il faut à chaque fois reconstruire (143-89-167-76-128-221). L'habileté (pour ne pas dire l'escroquerie) de Pierre sera de faire d'abord payer au Saint-Synode (direction de l'église) les réparations et l'entretien d'un bâtiment sur lequel il n'a aucun pouvoir et qui ne sert qu'à soigner les soldats ! Quand l'église parviendra à s'opposer au tsar, Pierre aura alors l'idée de financer l'hospitalisation des soldats de la troupe par une cotisation prélevée sur le salaire des officiers. Il impose ainsi une certaine solidarité sociale militaire (143-128).
Beaucoup d'autres établissements de soins sont construits durant le règne de Pierre 1er. L'hôpital militaire de Saint-Pétersbourg est ainsi l'un des premiers bâtiments de la nouvelle capitale.
Après la mort du tsar, quelques nouveaux hôpitaux voient le jour mais avec moins de dynamisme. Vers 1750, on en compte une trentaine en Russie. Les premiers hôpitaux d'usine s'ouvrent aux fabriques Kolyvano-Voskressenski. Certaines méthodes modernes sont déjà appliquées : enseignement clinique, dossier médical et autopsie des patients décédés à l'hôpital.
Sous Catherine II, de nombreux hôpitaux s'ouvrent. Certains constituent de véritables innovations. Hôpital Catherine pour la diffusion de l'inoculation de la variole, hôpital "secret" pour les maladies vénériennes, hôpital des enfants trouvés de Moscou, nombreux hôpitaux psychiatriques, etc. La tsarine décide également qu'un établissement hospitalier sera ouvert dans chaque capitale de province. Paradoxalement, les témoignages rapportent un délabrement général des hôpitaux et des conditions de vie des hospitalisés. On ne compte plus un seul établissement de plus de 200 lits, certains hôpitaux, presque en ruine, sont quasiment vides. L'état ouvre des hôpitaux pour se donner bonne conscience mais se soucie peu de leur entretien. Quand Paul 1er visite en 1797 l'hôpital de Moscou créé par Pierre, il le trouve dans un tel état qu'il décide immédiatement sa reconstruction (116).
2- Les Hôpitaux de 1801 aux années 1860
Les hôpitaux sont d'abord de véritables mouroirs où il ne fait pas bon entrer. En 1802, un témoin raconte que la moitié des malades meurent en chemin pour l'hôpital de Moscou. Une fois arrivés, la moitié des hospitalisés y succombent ! (76)
La situation s'améliore lentement au cours des premières années du XIXe siècle. De nombreux hôpitaux sont installés dans les capitales de provinces mais aussi dans plusieurs capitales de district (183).
Lefebvre, un médecin anglais travaillant en Russie, témoigne de sa visite dans un grand hôpital moscovite : les patients sont admis de 9h à midi. Un médecin inspecte les malades dont il sélectionne "les cas les plus intéressants" devant être hospitalisés. Son choix est supervisé par un médecin-chef. Le malade est alors lavé puis habillé avec du linge de l'hôpital. Au-dessus de son lit, on trouve un panneau comportant le nom, l'âge, le propriétaire (si c'est un serf), le jour d'admission et le diagnostic. Le panneau est ensuite divisé en 4 parties décrivant l'histoire de la maladie, les médicaments employés, les gestes effectués et le régime alimentaire. Les médecins font une à deux visites quotidiennes. Le linge est changé fréquemment, la nourriture est dite "abondante et de bonne qualité". Les traitements sont administrés par des feldshers, par la force s'il le faut. Le patient peut quitter l'établissement sous décharge mais il ne peut alors être réadmis. Si Lefebvre loue la fumigation des salles et l'existence même des lieux d'aisance, il regrette le manque de ventilation et les odeurs nauséabondes (128).
Malgré cette description un peu idyllique, de graves problèmes de fond subsistent.
L'hôpital reste payant. Si le prix du lit est modéré (10 roubles par an), seul le maître du serf a les moyens de lui offrir. Alors que les propriétaires ont l'obligation juridique de s'occuper de la santé de leurs serfs, bien peu ont l'humanité de les aider réellement.
D'autre part, l'hôpital a fort mauvaise réputation, largement justifiée selon Pirogov. Le grand chirurgien nous dresse un tableau édifiant de son arrivée en 1841 au grand hôpital de l'Académie Médico-Chirurgicale de Saint-Pétersbourg dans lequel il travailla longtemps.
"Je trouvai la division chirurgicale de l'hôpital dans un état à faire frémir.
La ventilation d'énormes salles (de 60 à 100 lits), dans l'édifice principal, se faisait par un long couloir, et le couloir recevait de l'air par des cabinets. Les malades qui étaient logés dans des maisonnettes de bois de 70 lits, avaient une meilleure ventilation ; mais ils souffraient beaucoup de l'humidité du local.
Des salles entières étaient pleines de malades à la fleur de l'âge, atteints d'érysipèle, d'empoisonnement de sang, de formes aiguës de gangrènes, etc.
Le linge pour les compresses et les bandages passait d'un malade à l'autre. Les médicaments n'avaient de salutaire que le nom. Au lieu de quinine, on administrait du fiel de bœuf ; au lieu d'huile de foie de morue, une huile indigène quelconque. Le pain et la viande étaient détestables.
Le vol était organisé sur une vaste échelle. Les inspecteurs et les commissaires jouaient aux cartes et perdaient des centaines de roubles tous les jours. Le fournisseur de viande approvisionnait au su et au vu de tout le monde les membres de l'administration. Le pharmacien vendait au-dehors ses dépôts de vinaigre, de médicaments, etc. L'administration, ne trouvant plus rien à voler, vendait la charpie et les bandages qui provenaient des malades ; un dépôt de chiffons était installé dans des chambres situées à coté des salles occupées par les patients. " (159). La situation est encore bien pire dans les hôpitaux provinciaux.
Hospices ou mouroirs selon les cas, les établissements publics n'accueillent en fait que des soldats, des vagabonds indigents et les fous dont on ne sait que faire. Que l'on ait une famille, même pauvre, ou que l'on soit riche, on fuira l'hôpital comme le choléra.
Les réformes sociales de la fin du XIXe siècle modifient bien sûr la vie des hôpitaux. Etudions maintenant trois grands types d'hôpitaux : un grand hôpital universitaire, un hôpital rural de proximité et un hôpital psychiatrique.
3- Les Hôpitaux des grandes villes
Lors du XIIe congrès international de médecine qui se tient à Moscou en 1897, le grand hôpital de Moscou est la vitrine de toute la médecine russe. Moderne, flambant neuf, certains congressistes étrangers n'hésitent pas d'en faire le meilleur hôpital du monde (143-216).
Vers 1889, Moscou possède deux hôpitaux universitaires vétustes qui datent de plus d'un siècle. Deux riches dames décident de fournir des fonds nécessaires à la construction de deux petites cliniques. Un vaste terrain ("le pré de la vierge") leur est cédé par la municipalité. Le gouvernement profite alors de l'occasion pour lancer un projet de grande ampleur. Six ans plus tard, l'hôpital couvre une surface de 1300 mètres sur 175. Il rassemble 13 cliniques de spécialités différentes comprenant 675 lits. D'autres bâtiments accueillent l'administration et les résidences des professeurs. Le coût total est évalué à 5 millions de roubles (13 millions de francs-or) (143-167).
L'équipement des chambres est moderne : chauffage central par canalisation d'eau chaude, ventilation de l'air, lumières électriques, système d'irrigation et d'égouts. Une grande attention est portée à l'enseignement avec des laboratoires de grande qualité et des amphithéâtres spacieux (143).
figure
52 : salle d'opération de l'hôpital pour enfants Prince-Peter-Oldenbourski à
Saint-Pétersbourg en 1912 (78)
Certains patients privés payent
de 50 à 150 roubles par mois leur hospitalisation mais les professeurs
admettent aussi des patients gratuitement. En fait, les frais d'hospitalisation
sont supportés par les salariés eux-mêmes. En Russie, un passeport est
nécessaire pour se déplacer, ne serait-ce que d'une ville à l'autre. A l'achat
de ce passeport, renouvelable tous les ans, une taxe (un rouble environ) est
prélevée pour financer les hospitalisations (143).
Notons que le directeur de tout hôpital russe, grand ou petit est un
médecin-chef d'un service de l'établissement. Ce médecin principal, aux très
grandes responsabilités, vit toujours à l'intérieur de l'enceinte de l'hôpital.
Dans les grands hôpitaux, il est assisté d'un comité médical (143-137-72).
Vers 1900, Moscou possède 30 autres hôpitaux rassemblant environ 7000 lits pour
2,5 millions d'habitants. Ces établissements consomment 15% du budget municipal
(14).
D'une façon plus générale, un décret de 1893 divise les hôpitaux en 4
catégories suivant leur importance (154):1ère catégorie : plus de 300 lits
2ème catégorie : 100 à 300 lits
3ème catégorie : 16 à 100 lits
4ème catégorie : moins de 16 lits
Les chefs de service sont responsables du traitement et de l'entretien des malades, de l'état d'hygiène des services et de leur équipement médical. Ils sont aidés par des médecins-assistants ne devant pas avoir en charge plus de 40 malades. Ils en ont en réalité plus d'une cinquantaine. Les hôpitaux universitaires comptent un certain nombre d'ordinateurs c'est à dire médecins préparant un doctorat (un peu comme nos internes). Les infirmiers sont aussi surchargés et s'occupent chacun d'environ 40 hospitalisés. Beaucoup de personnel n'a pas de qualification. Une étude de 1905 montre parmi eux un taux d'analphabétisation de 60%. Dans certains hôpitaux, le nombre de prêtres est même supérieur à celui des médecins (154-137-170).
4- Les Hôpitaux ruraux des zemstvos (154-31-124)
A la fin des années 1860, les zemstvos des 34 provinces concernées reçoivent la gestion de 351 établissements médicaux (11.500 lits) et 53 hospices (3500 lits). On relève déjà de grandes disparités : la Bessarabie ne possède qu'un hôpital de 100 lits dans sa province, le gouvernement de Poltava en a 15 rassemblant 800 lits.
Mises à part de rares exceptions, les hôpitaux sont tous fortement délabrés : "toits en très mauvais état, murs lézardés et penchés, planchers pourris, poêles fumants, on était frappé de la bizarre construction des lieux et de l'infection qu'ils répandaient" raconte Ossipov. Le peu d'attention que les gouvernements provinciaux attachent aux hôpitaux est encore aggravé depuis que l'on attend la réforme de régionalisation. Sachant que la gestion des établissements va être transmise aux zemstvos, les administrateurs locaux ont depuis plusieurs années résolu de ne plus faire aucune réparation.
Ossipov rapporte des extraits choisis de la description par les médecins des hôpitaux dont ils reçoivent la charge. Ces exemples, loin d'être des exceptions reflètent au contraire l'incroyable misère hospitalière. Tous dénoncent la saleté et les odeurs fétides, "dans les lieux d'aisance, les planchers et les murs étaient imprégnés de saleté. A une place, l'urine suintait à travers un poêle et s'écoulait de l'étage supérieur vers l'étage inférieur. Il n'y avait aucune ventilation et l'odeur de ces lieux se répandait dans tous les corridors et dans toutes les salles" (hôpital de Koursk). Les locaux sont bien souvent surchargés et les malheureux malades entassés parfois "à 180 pour 100 lits disponibles" (hôpital de Vologda) couchent à deux dans un lit ou même par terre. Il est impossible d'isoler les patients, ceux atteints de maladies infectieuses y côtoient sans restriction les autres hospitalisés (154).
Les rénovations ou reconstructions seront la tâche médicale principale des premières années des zemstvos. Les 350 établissements délabrés de 1870 comportant 11.500 lits font place 20 ans plus tard à 1.068 hôpitaux totalisant 26.571 lits.
Une fois de plus, allons visiter les hôpitaux du zemstvo de la région de Moscou. En 1897, on y trouve un hôpital pour 20.000 personnes. Chaque hôpital comprend une moyenne de 17 lits. La durée moyenne d'hospitalisation est de 13,6 jours par patient.
Le médecin-chef est le directeur qui dirige tant la partie médicale qu'administrative et économique de l'établissement. Il est parfois aidé d'un médecin assistant. Entre deux et quatre infirmiers dont au moins une sage-femme s'occupent des malades. Ils sont assistés de gardes-malades sans qualifications aidant aux soins et aux transports. Il faut encore ajouter des domestiques, une cuisinière et une blanchisseuse.
Un hôpital rural comprend en général plusieurs bâtiments : l'hôpital proprement dit, le dispensaire, un bâtiment isolé pour les maladies infectieuses et quelques fois une maternité. Le médecin loge le plus souvent dans une maison séparée, parfois spacieuse voire confortable. Nous reproduisons ici (figure 53) les plans de l'hôpital de Glassov.
LEGENDE : A : Hôpital, rez-de-chaussée : 1. chambres des malades 2. cabinet du médecin 3.pharmacie 4. salle d'accouchement 5.salle de bain 6. chambre de la garde-malade 7. WC.
B : Hôpital 1er étage : 1. logement des infirmiers 2. lingerie 3. chambre des domestiques 4. réservoir d'eau
C : Maison du médecin
D : Bâtiment pour les maladies infectieuses : 1. chambres des malades 2. salle de bain 3. W.C.
E : Asile des incurables : 1. chambres des malades 2. chambre de la garde-malade 3.salle de bain et W.C.
F : Baraque d'été
figure
53 : plan de l'hôpital de Glassov, appartenant au zemstvo de la province
de Moscou (154)
La dépense moyenne pour un hôpital d'une quinzaine de lits est d'environ 8000 roubles par an dont voici le détail :
tableau
5 : moyenne des dépenses d'un hôpital calculée sur 11 hôpitaux de la province
de Moscou (154)
Objets des dépenses |
dépenses pour un hôpital en roubles |
taux |
Entretien des établissements médicaux |
||
Nourriture des malades non compris les domestiques |
1192 |
13,4% |
Chauffage de l'établissement |
834 |
9,4 |
Eclairage |
158 |
1,8 |
Blanchissage |
188 |
2,1% |
Réparations de l'hôpital et des dépendances économiques |
242 |
2,7% |
Réparation de l'inventaire spécial |
81 |
0,9% |
Dépenses pour l'église |
63 |
0,7% |
Menues dépenses économiques |
101 |
1,1% |
Frais de chancellerie et de livres de médecine |
94 |
1% |
Remèdes et matériaux pour les pansements |
1186 |
13,4% |
Location et entretien de l'établissement |
198 |
2,2% |
Assurance |
161 |
1,8% |
Sous-total |
4498 |
50,6% |
Entretien du personnel (logement compris) |
||
Salaires des médecins |
1611 |
18,2% |
Salaires des assistants |
214 |
2,4% |
Salaires des infirmiers |
533 |
6% |
Salaires des infirmières-sages-femmes |
272 |
3% |
Salaires des sages-femmes |
362 |
4% |
Salaires du proviseur |
54 |
0,6% |
Salaires des domestiques |
263 |
2,9% |
Salaires des gardes-malades |
237 |
2,7% |
Salaires des cuisinières |
73 |
0,8% |
Nourriture des domestiques |
313 |
3,5% |
Sous-total |
3932 |
44,3% |
Frais de déplacement du personnel médical |
446 |
5% |
total |
8876 |
|
5- Les Hôpitaux psychiatriques (154-167-119-75-92-5)
Depuis toujours le peuple russe entretient des relations privilégiées avec les malades psychiatriques. Fous violents (yourodivy) ou fous calmes (strany), on croit leur folie inspirée par Dieu ; ils sont considérés comme saints, leur apparition portant bonheur. Les russes riches ou pauvres leur donnent avec plaisir le boire et le manger et pouvaient les accueillir quelque temps dans leur foyer. Ils sont depuis les débuts du christianisme russe bien traités dans les monastères : les patients violents y sont soignés avec douceur et tolérance par les moines. Ivan le Terrible décide d'ailleurs de les enfermer dans les monastères "pour ne pas gêner les gens sains et recevoir les bienfaits de la foi". Mais la plupart d'entre eux errent de villages en villages (167-119-5).
Des lois spécifiques apparaissent au XVIIe siècle. On restreint les droits des aliénés et leurs biens. Pierre 1er ordonne bien de les enfermer dans des établissements spécialisés et non plus dans des monastères mais ces hôpitaux ne sont pas construits et la situation reste inchangée. Lors de son bref règne, Pierre III décide la construction de plusieurs asiles psychiatriques appelés tollhauss. Le premier voit le jour à Novgorod en 1776. En 1779 s'ouvre à Saint-Pétersbourg le premier hôpital psychiatrique de la capitale. On y utilise l'isolement et les liens de cuir mais pas les fers. En 1810 on compte 14 hôpitaux psychiatriques en Russie dont la célèbre "maison jaune" de Moscou, ainsi peinte car la peinture jaune est la moins chère. L'académicien Miller qui s'occupe de l'établissement divise les aliénés en 4 catégories : épileptiques, lunatiques, mélancoliques et furieux. Les patients doivent être correctement vêtus et travailler. Malheureusement la police considère cet asile non comme un hôpital mais comme un centre de détention pour éléments violents. Les gendarmes y envoient criminels et alcooliques (167-5).
La psychiatrie est encore une discipline très marginale au début du XIXe siècle. Enseignée seulement depuis 1835 à Moscou, elle est d'abord négligée par les professeurs qui confient à un vétérinaire le soin de donner trois cours par semaine ! Les premiers cours de psychiatrie théorique apparaissent en 1845. Vers 1850, il existe 50 hôpitaux psychiatriques en Russie. Mais la psychiatrie est déjà la parente pauvre de la médecine. On y trouve des conditions de vie encore pire que dans les hôpitaux généraux : "Dans la section pour les aliénés organisée pour 30 malades, en hiver il s'en trouvait jusqu'à 80, alors les malades couchaient à deux dans le même lit et par terre (hôpital de Nijni-Novgorod). "Les salles des aliénés étaient des cages ayant 2 mètres de long pour 1,80 mètres de large où l'on enfermait 2 et même 3 malades" (hôpital de Novgorod). Les malades mentaux sont traités comme les autres, le nombre de psychiatres est ridiculement faible. De nombreux témoignages rapportent la brutalité et la cruauté avec laquelle les gardiens traitent les malades, Tchekhov s'en fait l'écho dans sa célèbre Salle n°6 (154-201).
Vers 1842, on commence à s'inquiéter, non du sort des malades psychiatriques, mais de l'insuffisance des locaux qui leur sont affectés. Les consultations et les discussions s'enlisent dans l'inertie bureaucratique. Il faut attendre 1869 pour qu'à Kazan s'ouvre le premier établissement spécialisé moderne (154).
De 1865 à 1875, les zemstvos prennent possession des hôpitaux provinciaux dont les sections psychiatriques totalisent 1167 lits. C'est bien peu au vu de l'énorme demande. L'effort des zemstvos pour la psychiatrie est très important. En 1893, 34 établissements psychiatriques comptent 9000 lits soit 7,7 fois plus en 20 ans. Durant le même laps de temps, l'augmentation du nombre de lits de médecine générale n'est que de 2,3 fois. Les zemstvos ne se contentent pas de créer des lits, ils engagent aussi les médecins psychiatres qui faisaient cruellement défaut jusque là. En 1897, ils sont 90 spécialistes soit presque trois par établissement. Les nouveaux bâtiments sont souvent construits à la campagne (154).
Les statistiques montrent qu'on y trouve trois hommes pour deux femmes, 75% ont de 20 à 50 ans. La mortalité est d'environ 11% par an (en 1892). Les patients qui quittent l'hôpital continuent d'être surveillés par les médecins. Leur famille peut recevoir une aide financière de 3 à 5 roubles par mois.
Les techniques "non restrictives" de Pinel et Esquirol plaisent beaucoup aux psychiatres russes surtout après les essais de Korsakoff à la clinique psychiatrique de Moscou : il enlève les barreaux, ouvre les fenêtres, emploie des intendantes féminines dans les quartiers masculins. La plupart des autres établissements reprennent ces initiatives ; les camisoles de force sont rarement employées, pendant les crises violentes les agités sont enfermés dans des pièces capitonnées. Tver inaugure en 1892 le premier hôpital psychiatrique à sortie libre. Les traitements sont encore peu standardisés, on utilise surtout l'hydrothérapie (119-75).
A titre d'exemple, l'hôpital de Pokrovski (province de Moscou) possède 148 lits.
334 malades y sont soignés en 1897. Ils restent hospitalisés 161 jours en
moyenne, dans le détail nous trouvons :60,5% de 1 jours à 6 mois
14,2% de 6 mois à 1 an
25,6% plus de 1 an
La mortalité s'élève cette année là à 8,4%. L'hôpital emploie 1 directeur, 2
ordinateurs, 2 assistants (soit 5 médecins), 23 infirmiers et 56 employés et
gardes-malades. Pour l'année 1897, l'hôpital aida financièrement 129 patients
restés dans leur famille(154).