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LES AUTRES PROFESSIONS DE SANTE
a) présentation et origines
Le feldsher est une particularité russe, profession intermédiaire entre infirmier et médecin, il rappelle un peu nos officiers de santé d'avant 1882 mais sans en avoir le niveau ni les compétences. Ils seront produits en grand nombre à la fin du XIXe siècle pour pallier l'insuffisance de médecins dans les campagnes. Les feldshers sont au cœur d'une vive polémique qui les opposent aux médecins universitaires (la question du "feldshérisme").
L'origine du mot est allemande, feldsherer signifie "ciseaux de champs (de bataille)" soit "chirurgien militaire" (89). Les premiers feldshers russes sont des chirurgiens-barbiers militaires qui apparaissent au début du XVIIIe siècle. Devenir feldsher est la punition infligée aux élèves récalcitrants de la première école de médecine sous Pierre le Grand.
b) les feldshers militaires
Jusqu'au milieu du XIXe siècle la profession est essentiellement militaire. Le gouvernement qui souhaite améliorer l'aide médicale de ses troupes produit beaucoup de feldshers dans les hôpitaux-écoles militaires de Saint-Pétersbourg et Kronstadt. Mais l'apprentissage se fait surtout sur le tas. Vers 1850, on compte un feldsher dans chaque unité.
Jusqu'en 1874, la durée du contrat militaire est très long, 25 ans. Les rares feldshers qui survivent à leur période se retrouvent dans la vie civile en ne disposant que d'une pension minable. Quelques uns exercent alors dans les campagnes, ce sont les premiers feldshers civils. En 1874, le contrat militaire passe à 6 ans, les feldshers issus de l'armée se retrouvent plus nombreux dans la vie civile (165).
c) les feldshers civils
Avant l'installation des zemstvos, on apporte une aide médicale timide aux campagnes en salariant quelques feldshers dans des villages. Ossipov rapporte "On supposait que notre pauvre peuple ne souffrait que de maladies bénignes qui ne demandaient que des remèdes simples, c'est pourquoi les feldshers qui ne recevaient que 12 roubles par an pour les traitements devaient cueillir et employer des plantes médicinales" (154). On mesure le peu d'intérêt du pouvoir pour la paysannerie. Une école civile de feldshers s'ouvre en 1829 mais la plupart sortent de l'armée. Leur réputation n'est pas fameuse, on les considère comme des vieillards ignorants, ivrognes, avares, serviles et égoïstes. Un jeu de mot célèbre circule : "les feldshers ne vous soignent pas ("yt ktxfn", létchat) mais vous estropient ("f rfktxfn", kalétchat). On dit d'ailleurs la même chose des médecins. Les feldshers sont la plupart du temps livrés à eux-mêmes et ne reçoivent une visite d'inspection du médecin officiel que trois ou quatre fois par an, parfois moins (165).
Quand s'ouvrent les zemstvos avec la volonté d'apporter une aide médicale à la population des campagnes, le recrutement des médecins pose certains problèmes. Peu nombreux, ils sont surtout chers pour les collectivités financées par des taxes régionales et gérées par des administrateurs locaux (167-154). On décide alors d'employer en grand nombre les feldshers comme un pis-aller bon marché. Le système se développe vite, en 1890 les zemstvos emploient 8000 feldshers pour 1800 médecins (76), en 1905 20600 feldshers pour 16000 médecins (165).
Les feldshers sont souvent issus de milieux sociaux bas, fils de petits commerçants, de prêtres, de soldats voire de paysans. Le mouvement "Aller au peuple" des années 1860 incitera certains intellectuels à choisir le métier de feldsher pour des motifs idéologiques mais ils restent très minoritaires. La profession est d'abord essentiellement masculine puis se féminise. Certaines femmes font de la profession un moyen de promouvoir leur émancipation ; vers 1905, plus de 40% des écoles de feldshers sont féminines (137-20).
Pour entrer à l'école, le candidat doit savoir lire et écrire mais la plupart n'en connaissent que les rudiments. Les deux premières années d'étude sont d'ailleurs surtout consacrées à la culture générale. Les deux années suivantes sont axées sur une approche pratique de la médecine mais les connaissances mal assimilées restent médiocres (89). A la veille de la Première Guerre Mondiale, on compte 44 écoles de feldshers civils.
Une des origines du problème feldsher vient d'un statut vague et d'un travail mal défini. Doit-il être un ersatz de médecin, gérant seul la plupart des cas médicaux ou doit-il se contenter d'un rôle d'infirmier en assistant simplement le médecin ? les textes ne tranchent pas. En fait la question se pose peu au début. La tâche est immense et le travail maximum de tous est bienvenu. Le feldsher possède alors une large autonomie même s'il travaille officiellement sous le contrôle d'un médecin. Seul au village, il consulte, traite et ne fait appel au médecin que quand il se sent dépassé. Il vit au contact direct de la population qui l'accepte souvent mieux que le médecin. L'opinion courante alors est que "le lékar est le médecin des seigneurs tandis que le feldsher est le médecin des paysans" (154-130). Puis la structure médicale du zemstvo va se modifier. Chaque arrondissement aura en son centre un hôpital rural dirigé par le médecin avec les feldshers sous ses ordres. Ils gardent parfois une activité de consultation mais perdent peu à peu leurs responsabilités.
Les feldshers pratiquent tous un travail épuisant, sans vacances, mal payé (500 roubles par an) et hasardeux. Le niveau de vie est bas, parfois meilleur, souvent pire que celui des paysans ou des ouvriers. Un feldsher note "si la société remercie le médecin pour ses sacrifices, elle reçoit l'épuisant travail du feldsher comme un dû" (165).
On distingue deux types de feldshers. Ceux issus de l'armée ont reçu une formation sur le tas. On les appelle les rotnyé, ils sont souvent la caricature du feldsher ignare et ivrogne avec un niveau culturel très médiocre. Les feldshers issus d'écoles civiles bénéficient d'une meilleure éducation médicale. Ce sont les shkolnyé qui ont conscience de leur supériorité sur leurs confrères rotnyé et s'appellent même "nouveau feldshers" pour mieux s'en distinguer.
d) les organisations de feldshers
Avant 1890, les feldshers, dispersés et sans organisation, manquent d'esprit de groupe pour percevoir leurs problèmes collectifs. En 1891 un journal "Feldsher" devient leur premier forum d'expression et le centre du mouvement feldsher. Ils réclament une augmentation de leur niveau de vie, une définition plus précise de leurs relations avec les médecins, une meilleure image auprès du public et plus de reconnaissance de la part de la société.
Ce mouvement se heurte à deux obstacles. L'opposition des médecins d'une part qui souhaitent non seulement limiter leur pratique mais aussi les éliminer complètement. Les médecins ont depuis longtemps pris pied dans les conseils d'administration des zemstvos, ils refuseront toujours farouchement d'aider les feldshers à y entrer. Les feldshers auront ainsi beaucoup de mal à obtenir un réel pouvoir de décision (165).
D'autre part les dissensions internes entre rotnyé et shkolnyé. Les shkolnyé veulent obtenir un statut différent des rotnyé qu'ils accusent d'être les brebis galeuses de la profession. "Si nous voulons asseoir notre position professionnelle et sociale, nous devons nous séparer des incultes" s'exclame un shkolnyé. Les rotnyé mettent en avant leur expérience et leur proximité auprès du peuple ; ils remarquent que les shkolnyé tentent de les dénigrer comme les médecins font avec les feldshers (165).
e) la polémique du "feldshérisme"
Les médecins ne décolèrent pas contre les feldshers ; "personnel médical ignare", incompétents, dangereux, ils sont accusés de tous les maux (154-165). Même des humanistes comme l'hygiéniste Ossipov et les médecins-écrivains Tchekhov et Boulgakov les stigmatisent par un froid mépris ou une ironie mordante (201-25-154). On leur reproche surtout par leur pratique empirique, sans connaissances suffisantes, de dégoûter le paysan de la médecine scientifique. "La confiance des paysans est déjà faible, en continuant [à employer des feldshers] nous la perdrons tout à fait" (124).
S'il y a probablement une part de jalousie de la part des médecins, il semble effectivement que le niveau médical des feldshers reste assez bas, surtout pour les rotnyé.
La question du feldshérisme est en fait "combien faudra-t-il de temps pour employer assez de médecins pour pouvoir se passer des feldshers" ? Dès le début, l'utilisation des feldshers est un palliatif à l'insuffisance d'une médecine de qualité utilisant les médecins comme uniques praticiens. Mais la Russie tsariste n'a pas encore les moyens éducatifs et financiers de remplacer les postes de feldshers par des médecins universitaires. Les feldshers restants seront progressivement assimilés à des infirmiers mais la profession perdure en URSS et jusqu'à aujourd'hui (165)
2- Les Infirmières (187-195-79-42-102)
On connaît bien l'œuvre de l'anglaise Florence Nightingale pendant la guerre de Crimée (1853-1856). Première organisatrice de corps d'infirmières auprès de l'armée anglaise, sa réputation a facilement traversé le siècle. C'est encore un symbole de dévouement largement utilisé dans les écoles d'infirmières actuelles. On connaît moins l'œuvre exactement similaire des premiers corps d'infirmières russes. Preuve qu'une bonne idée peut germer à l'identique et sans concertation dans deux camps opposés.
Avant la guerre, les soins aux malades militaires ou civils sont exclusivement un travail d'homme à part le domaine féminin habituel des problèmes gynéco-obstétriques et pédiatriques (176). Au mieux, des feldshers ou des étudiants en médecine mais plus souvent des "infirmiers" sans aucune formation s'occupent des malades hospitalisés. Les témoignages nombreux rapportent la brutalité, la cupidité et l'ignorance de ces employés frustes, sans aucune notion de conscience professionnelle (195-119-201).
La guerre de Crimée commence en octobre 1853 entre la Russie et la Turquie mais le conflit prend son ampleur avec le soutien à la Turquie de la France et du Royaume-Uni qui débarquent en Crimée en septembre 1854. Les premiers rapports montrent une situation catastrophique des blessés après la désastreuse bataille de l'Alma.
Deux volontés vont alors s'ajouter pour améliorer l'aide médicale urgente aux victimes des combats. Nicolas Pirogov (1810-1881) d'abord, gloire de la médecine russe du XIXe siècle, chirurgien de génie, il révèle aussi des talents de pédagogue et d'organisateur. C'est surtout un grand humaniste et un esprit moderne qui fut l'un des premiers à promouvoir le travail des femmes en médecine. Depuis le début du conflit, rongeant son impatience, il écrit requête sur requête pour qu'on lui permette d'organiser une aide efficace sur les champs de bataille. Mais aucune réponse officielle ne lui parvient. Au même moment, la Grande Duchesse Eléna Pavlovna (1806-1873) tente de mettre sur pied une équipe féminine de soins militaires. Belle-sœur du tsar Nicolas 1er, elle a déjà fondé plusieurs organisations de charité. Malgré l'opposition première du tsar ("Nulle part on n'envoie des femmes sur un champ de bataille", réponse bien dans le style de ce personnage réactionnaire), la Grande Duchesse lui arrache l'autorisation. Il faudra aussi subir les critiques de certains courtisans comme le prince Menchikov qui prévoit peu finement que "les infirmières vont créer le besoin d'un département vénérien" .(102)
Le 5 novembre 1854, Eléna Pavlovna rencontre Pirogov et le supplie de diriger son corps de volontaires. Pirogov est ravi d'accepter, il part 5 jours plus tard en Crimée. Le 6 novembre, Eléna Pavlovna fonde la société des "Sœurs de la Miséricorde de la Communauté de la Croix", organisation d'inspiration religieuse mais surtout constituée de laïques, des veuves le plus souvent. Notons que quelques mois plus tard un organisme semblable verra le jour sous le patronage de l'impératrice ; les "Veuves de la Compassion" sauront aussi être des auxiliaires remarquables.
Le premier détachement de 28 infirmières quitte Saint-Pétersbourg le 18 novembre 1854 après une formation très rapide. Elles arrivent à Simféropol le 12 décembre et se mettent à travailler dès le lendemain. La tâche est immense, les hôpitaux croulent sous l'afflux de blessés qui gisent sans soins pendant parfois plusieurs jours. Les infirmières trouvent sur place quelques femmes locales qui avaient déjà spontanément rejoint les hôpitaux dont la célèbre Daria Sebastopolskaïa (113). D'autres contingents d'infirmières arrivent au cours de l'année 1855. Dès leur arrivée, les infirmières sont immédiatement appréciées par les blessés et les médecins. Leur travail efficace, leurs manières agréables, leur compassion apportent un peu de réconfort aux victimes jusque là presque abandonnées à elles-mêmes.
Pirogov divise les effectifs en 4 groupes auxquels il assigne des tâches précises et différentes :
- le premier groupe est chargé de l'évaluation des lésions et du triage des blessés.
- les membres du deuxième groupe vont chercher les blessés du premier groupe, les pansent et assistent les chirurgiens pendant les opérations. Pirogov rapporte "il est possible de réaliser dix grandes amputations en une heure trois quarts. avec l'aide d'assistants pas vraiment expérimentés". Il opère lui-même sans arrêt.
- le troisième groupe s'occupe des soins aux blessés moins urgents.
- le quatrième groupe est composé de religieuses et de prêtres assistant les mourants.
Plus tard on créera des unités mobiles pour escorter les blessés pendant les longs voyages.
Pirogov sépare les malades en groupe propre (aseptique) et groupe purulent (septique) ; un troisième groupe de patients est isolé dans des chambres spéciales pour la gangrène, que le chirurgien appelle "memento mori".
A la grande satisfaction des blessés, les infirmières gèrent l'intendance des hôpitaux et les biens personnels des victimes. De nombreux trafics sordides profitaient de l'invalidité des blessés pour les dépouiller. Pirogov peut à juste raison fustiger "l'insatiable rapacité de l'administration hospitalière" et la corruption du "stupide personnel médical" (195).
figure
47 : groupe de Soeurs de la Communauté de la Croix à Sébastopol en 1855 (195)
Les combats meurtriers se poursuivent. Après certaines batailles, le travail est tel qu'une infirmière raconte : "nous n'avons pas mangé ou bu pendant deux jours, il était impossible d'interrompre le travail une seul instant" (195). Malgré de nombreuses victimes parmi les infirmières (un quart des effectifs succombe), elles se conduisent héroïquement, parfois sous le tir même de l'ennemi. Elles forcent l'admiration des soldats et les éloges de Pirogov. Citons Ekatérina Bakounina (1812-1894), cousine du célèbre anarchiste, qui se révèle l'infirmière la plus courageuse et dévouée. Très volontaire, elle fut "un exemple de patience et de travail pour les autres infirmières" (195). Elle devient en février 1855 chef de la "Communauté de la Croix".
En dépit de ce qu'affirment certains officiels russes (23-195), la création des corps d'infirmières russes est légèrement postérieure à ceux de Florence Nightingale (les anglaises commencent à travailler le 9 novembre 1854, les russes le 13 décembre). "La question des priorités est cependant de peu d'importance, il y a sûrement assez de gloire
pour toutes" (Curtiss (42)). Après la guerre, les structures constituées se rejoignent bientôt dans la Société de la Croix-Rouge Russe qui est bientôt.
Le succès des infirmières en Crimée encourage beaucoup de femmes russes à se lancer dans les carrières médicales. Certaines tenteront d'obtenir leur diplôme de médecin, d'autres plus nombreuses iront se former dans les écoles de feldshers ou d'infirmières nouvellement créées. La Croix-Rouge ouvre des écoles dans les villes, les zemstvos en ouvrent auprès de leurs hôpitaux ruraux. Leur travail est très vite apprécié par les patients pour leurs compétences et leur gentillesse. Elles assurent avec les feldshers les soins infirmiers dans les hôpitaux. Leur salaire est cependant fort médiocre et oscille entre 300 et 500 roubles par an (23-154).
Leurs fonctions, mieux définies que celles des feldshers, les placent sous l'autorité d'un médecin. Elles n'ont pas d'activités de consultation ni de diagnostic. C'est pourquoi les médecins les acceptent mieux que les feldshers car elles n'entrent pas en rivalité avec eux.
Déjà au XVIIIe siècle, la tsarine Elisabeth porte une attention toute féminine aux épreuves des femmes en couches. Elle fait ouvrir une école de sages-femmes à Saint-Pétersbourg en 1754 (128-221). Au début du XIXe siècle, on compte plusieurs écoles dispensant un enseignement de qualité, il y en aura 8 vers 1900 (175-137). Le certificat d'étude est nécessaire pour entrer. Les cours sont dispensés par un médecin accoucheur ou un professeur de gynéco-obstétrique assisté d'un chirurgien et d'une sage-femme d'expérience (221). Les études sont sanctionnées par un diplôme universitaire leur conférant une grande légitimité (143).
Comme les médecins, elles sont employées par les municipalités ou exercent une activité libérale (201-221). Comme les médecins, elles travaillent surtout dans les villes, les campagnes étant le domaine des "accoucheuses" populaires.
A la mise en place des zemstvos, elles sont employées en grand nombre pour réduire la mortalité puerpérale et infantile. En 1890, on compte 1422 centres médicaux avec 1805 médecins, 8046 feldshers et 2454 sages-femmes (176), elles sont près de 10.000 en 1905 (40). Mais une difficulté imprévue limite leur efficacité. On constate que même gratuits et compétents, on ne fait que rarement appel à leurs services. Elles ne sont appelées que dans 2% des accouchements, ceux posant problèmes, et arrivent souvent trop tard. En effet, les paysannes préfèrent faire appel aux "accoucheuses" locales car la coutume veut qu'en plus de l'aide à la parturition, elles assurent aussi les travaux domestiques pendant quelques jours, ce que ne peut jamais faire la sage-femme. Quelques tentatives essayent de donner une formation médicale minime à ces accoucheuses mais sans grand succès. Les responsables des zemstvos se désolent d'employer des sages-femmes hautement qualifiées sans travail la plupart du temps. Ils préfèrent l'aide plus utile des infirmières-sages-femmes nouvellement formées pouvant aider le médecin le reste du temps (154).
Pendant la première moitié du XIXe siècle, les études de sage-femme restent le seul enseignement médical accessible aux femmes. Leur diplôme universitaire et leur pratique en font des praticiennes de grande valeur (137).
Le premier pharmacien dont on ait gardé le nom s'appelait Matice et vivait à Moscou en 1553. C'était probablement un étranger comme tous les pharmaciens qui se succèdent à la cour des tsars jusqu'au XVIIIe siècle (194). En 1581, un apothicaire anglais, Frencham fonde l'aptéka, première officine de Russie destinée à fournir des médicaments exclusivement au tsar et à sa famille (194-143-92-221-76). Le reste de la population achète ses médicaments dans des échoppes (boucherie, primeurs, etc.) où poisons et remèdes forts sont vendus sans contrôle. Au XVIe siècle, l'aptéka s'ouvre petit à petit aux nobles puis aux soldats. La demande devient bientôt trop forte, une deuxième, puis d'autres pharmacies sont ouvertes dans le pays. En 1672, un oukase réserve aux pharmacies le monopole de la vente des médicaments. Les officines vendent aussi jusqu'à la fin du XVIIIe siècle du miel et de l'alcool (vodka, vin, bière) dont elles tirent grand profit (194).
D'abord simple commerçant exerçant sous licence d'état, le pharmacien (ou plutôt l'apothicaire comme disent les russes) gagne peu à peu reconnaissance par l'instauration d'examens universitaires. Au XIXe siècle, on distingue trois titres :
- "l'assistant apothicaire" (équivalent approximatif de préparateur actuel), doit avoir une expérience d'au moins trois ans comme apprenti dans une officine agréée et passer un examen oral.
- le "proviseur", lui aussi, doit justifier de trois ans d'activité et réussir un examen écrit comprenant des questions de minéralogie, botanique, zoologie, chimie, physique et pharmacologie.
- le "maître de pharmacie", doit déjà être proviseur, passer un examen sur les mêmes sujets mais d'un niveau supérieur et présenter une thèse avec au moins 6 propositions ou conclusions.
En 1895, les universités ont remis 463 diplômes d'assistants, 263 de proviseurs et 2 de maître en pharmacie. On peut comparer le proviseur au lékar et le maître de pharmacie au docteur en médecine russe (143).
L'ouverture d'une officine est, comme aujourd'hui en France, soumise à autorisation en fonction de la population (128). Les pharmaciens russes ont interdiction de donner un conseil médical. Ils doivent se contenter de délivrer les médicaments de l'ordonnance rédigée en latin et de relever tous les actes sur un registre. Les médicaments sont très lourdement taxés par l'état ce qui rend proverbial le prix très élevé des remèdes russes (128-154). Les zemstvos aux moyens financiers limités auront bien du mal à se fournir en médicaments. Ils iront jusqu'à acheter en Allemagne certains produits (154).
Plus encore que celui de médecin, le métier de pharmacien n'est pas très
bien vu, "ne convenant pas tout à fait aux âmes bien nées" (9). On y
trouve beaucoup d'enfants de nobles désargentés, de fils de soldats ou de Juifs
(9).