A - STATISTIQUES

 

1- Statistiques générales sur la population

 

2- Natalité et mortalité

 

3- Morbidité

 

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Les données présentées ici sont en grande partie issues du livre des docteurs Ossipov, Popov et Kourkine La Médecine du Zemstwo en Russie (154) publié en 1900 à Moscou en russe et en français. Cet ouvrage très riche offre une section statistique remarquable. Les chiffres avancés, s'ils peuvent parfois être nuancés, sont néanmoins les plus précis disponibles sur la période. Il est vrai que Ossipov est l'un des meilleurs statisticiens médicaux de l'époque.

1- Statistiques générales sur la population

Comme beaucoup d'autres pays d'Europe, la Russie vit une forte croissance démographique dans la deuxième partie du XIXe siècle. La révolution industrielle joue ici un moins grand rôle qu'ailleurs. Les causes les plus importantes sont surtout la libération des serfs en 1861 avec une certaine amélioration de leurs conditions de vie et l'amélioration de la situation sanitaire. En 1917, avec 121 millions d'habitants, la Russie d'Europe est (comme aujourd'hui) le troisième pays le plus peuplés du monde après la Chine (400 millions) et l'Inde (295 millions).
 

 

figure 3 : population de l'empire de 1796 à 1916 (161-40-154)


 

 

La figure 3 rapporte la population totale de l'empire en y incluant les acquis territoriaux (voir page 20). Signalons que la population du territoire de la Russie d'Europe augmente dans des proportions comparables (161).

Contrairement aux empires britannique ou français qui asservissent des territoires beaucoup plus peuplés qu'eux, les trois quarts des membres de l'empire russe vivent sur le sol de la Russie historique (figure 4).
 

 

figure 4 : répartition géographique de la population en 1890 (154)


 

Il est indispensable de se représenter la Russie tsariste comme un pays essentiellement rural. En 1897, 91,7 % des russes vivent à la campagne. Si les villes attirent de plus en plus de monde, elles sont encore relativement peu peuplées par rapport aux autres pays d'Europe (figure 5) et peu nombreuses : en 1897, seulement 19 villes ont plus de 100.000 habitants, en 1867 elles ne sont même que 4. Cette prédominance rurale perdurera jusque dans les années 1930 quand Staline imposera l'industrialisation forcée au pays
 

 

figure 5 : pourcentage de la population citadine / population totale vers 1895 (154)


 

Pays immense, certes mais relativement peu peuplé. Avec moins de 20 habitants au km², la Russie d'Europe se classe dans les pays d'Europe les moins denses (figure 6). Et nous pourrions évoquer la Sibérie avec une moyenne de 0,46 hab./km² qui peut tomber à 0,09 hab./km² dans la province de Yakoutsk. Cette faible densité posera de sérieux problèmes quand on tentera d'organiser une aide médicale à la population.
 

 

figure 6 : densité de plusieurs pays d'Europe vers 1895 (154)


 

La pyramide des âges (figure 7) montre un pays en pleine croissance démographique, évoquant celle des pays du tiers-monde actuel. La comparaison avec d'autres pays (figure 8) montre une similitude entre les deux futures grands adversaires mondiaux, la Russie et les Etats-Unis. Ce sont deux pays jeunes et dynamiques face à une Europe déjà vieillissante.
 

 

 figure 7 : pyramides des âges pour 10.000 russes en 1897 (154)

 

figure 8 : comparaison des tranches d'âges (sur 10.000 habitants) en Russie d'Europe, Europe occidentale et Etats-Unis vers 1895 (154)


 
 

En détaillant la société russe (figure 9), nous retrouvons l'écrasante majorité de paysans (81,5% des russes), pour la plupart anciens serfs. Les citadins rassemblent les ouvriers et les marchands. Depuis la réforme de Pierre le Grand, les russes appellent nobles à la fois les enfants des anciens aristocrates et les fonctionnaires de l'état.
 

 


 

figure 9 : les classes sociales en Russie d'Europe en 1897 (154) (échelle logarithmique)


 

 

 


 
 

figure 10 : les religions en Russie d'Europe vers 1897 (154)


 

 

La religion orthodoxe grecque, amenée par les missionnaires byzantins est nettement majoritaire (figure 10) et considérée comme religion d'état. Les prêtres salariés ont en général un niveau culturel et théologique très bas et ne font bien souvent que répéter tant bien que mal les gestes du culte. Signalons que de nombreux médecins se recrutent parmi les enfants de prêtres. On trouve aussi en Russie d'Europe d'autres confessions minoritaires : catholiques (surtout des Polonais), protestants (surtout des Baltes), musulmans (surtout des Caucasiens), et des Juifs. Les bouddhistes et chamanistes (classés ensemble par les recensements) sont très peu nombreux (0,4% en Russie d'Europe)
 
 

Signalons enfin que si les russes sont très majoritaires (72%), le pays est un mosaïque de peuples, brassés par les guerres et les expansions territoriales.
 
 
 

 

figure 11 : les différents peuples en Russie (154) (échelle logarithmique)


 

 

2- Natalité et mortalité (la mortalité infantile sera étudiée plus loin)

Nous venons de voir que les statistiques générales classent presque toujours la Russie aux chiffres extrêmes de l'Europe. Les taux de natalité et de mortalité sont de même les plus élevés d'Europe (figure 12) et il n'y a guère que la Serbie (+18,2 ‰ par an) et la Norvège (+16,6 ‰ par an) qui possèdent un taux d'accroissement supérieur vers 1897 (154).
 
 
 

 

figure 12 : comparaison des taux de natalité et mortalité de quelques pays d'Europe vers 1897 (154)


 

 

Rappelons encore une fois que les chiffres statistiques n'ont de valeur qu'après l'instauration des zemstvos vers 1865. Les estimations sur la période antérieure sont très peu fiable ; par exemple, le taux de mortalité vers 1830 varie chez les auteurs de 26,3 ‰ à 38,7 ‰ (154).

Les taux sont très élevés mais en évolution (figure 13 et 14) ; sur une période de 45 ans on observe une nette diminution combinée de la natalité et de la mortalité. Les chiffres sont soumis à de fortes variations d'une année à l'autre. Ce régime démographique instable et à forte mortalité le rend comparable aux démographies archaïques des pays d'Europe occidentale des XVIIe et XVIIIe siècles (156). Notons que les régions baltes, plus occidentalisées, ont une démographie plus stable, au contraire des plaines de la Volga, très sensibles aux épidémies.
 
 
 

 

figure 13 : évolution du taux des naissances et décès de 1861 à 1913 (156-154)
 



 
 

figure 14 : évolution du nombre des naissances et décès de 1867 à 1913 (156)


 
 

 Si nous analysons plus en détail la santé des russes, nous découvrons des variations plus importantes suivant les régions (figure 15). Mais il faut prendre les bons chiffres des provinces de l'ouest et du Caucase avec précaution, la mauvaise qualité du recueil des données sous-estime très probablement la mortalité réelle (166-154)
 

figure 15 : mortalité comparée des provinces de la Russie d'Europe (154-156)


 

La mortalité des villes et des campagnes subit une inversion intéressante pendant le XIXe siècle (figure 16). Si les chiffres bruts sont contestables, l'évolution semble être correcte. Les villes insalubres du début du siècle connaissent de graves problèmes d'irrigation et n'offrent que des conditions sanitaires déplorables. Quand, à la suite de Moscou, elles se doteront de systèmes d'égouts adaptés, les citadins verront leurs conditions de vie s'améliorer. A la même époque les municipalités offrent des services de soins de plus en plus performants. Mais avant la Première Guerre Mondiale, Saint-Pétersbourg était encore connue comme "la capitale la plus insalubre d'Europe".
 

 

figure 16 : comparaison des taux de décès entre les villes et les campagnes de 1835 à 1915 (156)


 

 

La mortalité suivant l'âge (figure 17) est comparable à l'Europe mais reste entachée de la terrible mortalité infantile (près de 50 %). Cette mortalité des premiers âges abaisse considérablement l'espérance de vie à la naissance (27 ans et demi pour la Russie d'Europe). La figure 18 rapporte également l'espérance de vie de certaines régions particulièrement meurtrières (154).
 

 

figure 17 : mortalité suivant l'âge en Russie d'Europe et dans une moyenne de 9 pays d'Europe vers 1897 (Suède, Angleterre, France, Italie, Espagne, Autriche, Allemagne, Belgique, Suisse) (154)


 

 


 
 

figure 18 : espérances de vie comparées de certaines régions de la Russie et de pays européens vers 1890 (154)


 

 

figure 19 : natalité, mortalité et accroissement naturel suivant les mois vers 1897 (154)


 

Les taux bruts de décès varient considérablement suivant les saisons (figure 19). L'été, l'hiver sont redoutables pour les enfants. Juillet, août, décembre négativent même l'accroissement naturel de la Russie, pourtant exceptionnellement élevé (154).
 

 

figure 20 : mortalité suivant la confession vers 1897 (154)


 

Un autre paramètre intéressant est la mortalité par religion (figure 20). Les orthodoxes sont beaucoup plus exposés que les autres confessions. Là aussi, la mortalité infantile est en grande partie responsable (154).

Les causes de ces résultats statistiques sont multiples et leurs effets difficilement quantifiables. On invoque souvent la saleté et le manque d'hygiène du peuple russe mais la situation devait être probablement comparable en France, Angleterre ou Allemagne. Notons même l'habitude scrupuleusement respectée du bain de vapeur hebdomadaire que les autres pays ne connaissent pas (141). Les raisons sont ailleurs : l'analphabétisation, le climat rigoureux, une bureaucratie inerte mais aussi la grande mobilité des russes favorisant la dispersion des germes (156). Une étude intéressante de Matossian (141) semble également révéler l'importance des intoxications alimentaires des céréales par ergotisme. La pomme de terre, facteur de stabilité alimentaire, n'apparaît en Russie qu'après 1840 (156).

Quoiqu'il en soit, une nette amélioration se dessine vers la fin du XIXe siècle. Là aussi les causes sont multiples : meilleures infrastructures (égouts, ventilation,, etc.), efforts médicaux des zemstvos, législation sur le travail, lutte contre l'analphabétisme, amélioration de l'alimentation (on plante plus de pommes de terre), maintien des guerres à la périphérie de l'empire (156).
 
 

3- Morbidité

Appréhender les différentes maladies qui touchent une population est une tâche ardue, très dépendante de la qualité et de l'homogénéité des rapports du personnel sanitaire. L'étude la plus complète à ce sujet fut réalisée dans la région de Moscou (ville non-comprise). Cette région (1.333.752 habitants en 1897) fut la pionnière dans la mise en place d'une médecine rurale efficace grâce au dynamisme de son équipe médicale. Son organisation du travail et ses méthodes statistiques rigoureuses furent ensuite étendues aux autres provinces. Le recueil des données reflète l'activité des médecins des hôpitaux ruraux de la région de 1883 à 1896, il rassemble 4,8 millions de cas ! Nous avons gardé autant que possible sa nomenclature originale.
 

tableau 1 : résumé des 4,8 millions de diagnostics au zemstvo de Moscou de 1883 à 1896 (154)


 

DENOMINATION DES MALADIES

hommes

%

femmes

%

enfants de moins de 5 ans %

personnes de plus de 5 ans %

total

%

Maladies contagieuses, épidémiques et endémiques

12,08%

10,13%

14,38%

10,45%

11,03%

Syphilis et maladies vénériennes

2,72%

3,52%

2,56%

3,26%

3,15%

Maladies parasitaires

3,62%

4,46%

5,67%

3,80%

4,07%

Toxi-infections alimentaires

2,15%

3,76%

7,55%

2,25%

3,02%

Maladies locales

64,57%

66,76%

62,31%

66,35%

65,75%

Formations nouvelles (tumeurs)

0,51%

0,61%

0,17%

0,63%

0,56%

Lésions traumatiques

8,04%

3,91%

2,03%

6,45%

5,81%

Lésions thermiques et chimiques

1,25%

0,70%

1,32%

0,88%

0,95%

Intoxications

0,4%

0,08%

0,13%

0,24%

0,23%

Empêchements du développement et difformité générale

0,56%

0,48%

1,24%

0,40%

0,52%

Maladies non définies

4,08%

4,61%

2,64%

4,66%

4,37%

Maladies non insérées dans la nomenclature

0,02%

0,05%

0%

0,04%

0,04%

Grossesse et couches régulières

0%

0,93%

0%

0,59%

0,50%

 


 
 
 
 
 

DENOMINATION DES MALADIES

hommes

%

femmes

%

enfants de moins de 5 ans %

personnes de plus de 5 ans 

%

total

%

Maladies contagieuses, épidémiques et endémiques

12,08%

10,13%

14,38%

10,45%

11,03%

 

Rougeole

2,44

2,26

6,97

1,26

2,35 (*)

 

Roséole

0,07

0,07

0,17

0,05

0,07 (*)

 

Scarlatine

3,40

3,12

6,70

2,45

3,26 (*)

 

Variole

0,40

0,42

0,76

0,33

0,41 (*)

 

Varicelle

0,69

0,73

2,22

0,35

0,71 (*)

 

Typhus abdominal (fièvre typhoïde)

2,20

2,33

0,34

2,71

2,26 (*)

 

Typhus exanthématique

0,92

0,78

0,06

1,04

0,85 (*)

 

Fièvre récurrente (borréliose)

0,62

0,43

0,07

0,63

0,52 (*)

 

Typhus

3,89

3,65

0,69

4,50

3,77 (*)

 

Croup

0,54

0,43

1,71

0,20

0,48 (*)

 

Diphtérie

1,50

1,69

2,52

1,37

1,59 (*)

 

Phtisie pulmonaire

7,52

4,80

2,91

6,87

6,12 (*)

 

Tuberculoses viscérales

4,02

2,74

0,69

4,02

3,39 (*)

 

Dysenterie

9,59

8,49

19,09

6,69

9,04 (*)

 

Choléra européen

0,10

0,06

0,13

0,07

0,08 (*)

 

Choléra asiatique

0,05

0,03

-

0,05

0,04 (*)

 

Erysipèle

2,58

4,92

1,51

4,27

3,74 (*)

 

Fièvres puerpérales

-

0,68

-

0,42

0,34 (*)

 

Périparotidite épidémique (oreillons)

1,61

1,34

1,51

1,47

1,48 (*)

 

Coqueluche

7,79

9,14

28,35

3,78

8,46 (*)

 

Bronchite épidémique (grippe)

26,13

30,45

17,44

30,82

28,27(*)

 

Fièvre intermittentes (malaria)

23,92

21,26

6,12

26,47

22,6 (*)

 

Pustules malignes

0,09

0,04

0,01

0,08

0,07 (*)

 

Hydrophobie (rage)

0,01

-

-

0,01

0,01 (*)

 

Septicémie

-

0,09

-

0,06

0,05 (*)

 

Pyémie

0,02

0,03

0,02

0,03

0,02 (*)

(*) = pourcentage sur l'ensemble des maladies infectieuses

Syphilis et maladies vénériennes

2,72%

3,52%

2,56%

3,26%

3,15%

 

Syphilis

2,26

3,43

2,56

2,95

2,89

 

Maladies vénériennes

0,46

0,09

0,01

0,31

0,26

Maladies parasitaires

3,62%

4,46%

5,67%

3,80%

4,07%

 

Parasites animaux

3,37

4,17

5,11

3,58

3,8

 

Parasites végétaux

0,24

0,29

0,56

0,22

0,27

 

hommes

%

femmes

%

enfants de moins de 5 ans %

personnes de plus de 5 ans 

%

total

%

Toxi-infections alimentaires

2,15%

3,76%

7,55%

2,25%

3,02%

Maladies locales

64,56%

66,75%

62,31%

66,33%

65,75%

 

Maladies du système nerveux

2,78

3,41

0,43

3,58

3,12

 

Maladies du système sanguin

1,74

1,69

1,13

1,81

1,71

 

Maladies ORL et respiratoires

11,4

9,54

10,48

10,38

10,40

 

 

Maladies digestives sauf diarrhées

8,73

7,77

4,62

8,82

8,21

 

 

Diarrhées aiguës

5,58

4,45

12,00

3,77

4,97

 

 

Diarrhées chroniques

5,68

6,19

8,99

5,43

5,95

 

Maladies des voies urinaires

0,97

0,65

0,82

0,79

0,80

 

Maladies des organes sexuels masculins

0,61

-

0,44

0,25

0,28

 

Maladies des organes sexuels féminins

-

5,56

0,10

3,50

3,01

 

Maladies ophtalmiques

4,99

5,52

4,53

5,40

5,28

 

Maladies des organes de l'ouïe

2,49

2,28

1,30

2,57

2,38

 

Maladies des os, articulations, muscles

7,71

8,68

0,91

9,49

8,24

 

Maladies de la peau

11,87

11,01

16,55

10,53

11,41

Formations nouvelles (tumeurs)

0,51%

0,61%

0,17%

0,63%

0,56%

Lésions traumatiques

8,04%

3,91%

2,03%

6,45%

5,81%

 

Traumatismes des parties molles et os 

7,66

3,69

1,80

6,15

5,52

 

Traumatismes d'organes principaux

0,17

0,06

0,03

0,13

0,11

 

Objets étrangers dans parties creuses du corps

0,21

0,15

0,19

0,17

0,18

Lésions thermiques et chimiques

1,25%

0,70%

1,32%

0,88%

0,95%

Intoxications

0,4%

0,08%

0,13%

0,24%

0,23%

 

Empoisonnements

0,38

0,07

0,04

0,24

0,21

Empêchements du développement et difformité générale

0,56%

0,48%

1,24%

0,40%

0,52%

 

Maladies du développement et de la caducité

0,46

0,41

1,14

0,32

0,44

 

Conséquences des maladies

0,1

0,07

0,09

0,08

0,08

Maladies non définies

4,08%

4,61%

2,64%

4,66%

4,37%

Maladies non insérées dans la nomenclature

0,02%

0,05%

-

0,04%

0,04%

Grossesse et couches régulières

-

0,93%

-

0,59%

0,50%

tableau 2 : pourcentages de 4.806.124 diagnostics observés par les médecins des hôpitaux ruraux du gouvernement de Moscou de 1883 à 1896 (154)


 

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