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MEDECINE ET TRAVAIL
L'industrialisation qui révolutionne l'Europe pendant la deuxième moitié du XIXe siècle atteint aussi la Russie. Certes le pays est encore principalement agricole mais on compte 2,12 millions d'ouvriers en 1898 sur une population totale de 130 millions de russes (1,6%) (50).
Comme dans nos pays occidentaux, les conditions de travail dans ces nouvelles usines sont d'abord effroyables.
Les enfants sont employés en grand nombre pour des salaires de misère. Des entreprises comptent jusqu'à un quart voire un tiers de salariés de moins de 15 ans. En 1882 puis 1886, deux lois réglementent le travail des enfants : ils ne doivent plus être employés en dessous de 12 ans ni dans les mines. Certaines fabriques dangereuses ne doivent pas les employer avant l'âge de 15 ans et le travail de nuit leur est interdit. Malgré ces lois plus ou moins appliquées, 9,8% des ouvriers en 1913 ont encore moins de 16 ans (196-214-74-88).
Les femmes aussi connaissent des conditions pénibles pour des salaires toujours inférieurs à ceux des hommes. Aucun privilège n'est accordé aux femmes enceintes qui doivent travailler jusqu'au dernier jour avant l'accouchement ! Quelques améliorations leur seront également accordées en 1882 et 1886 (196-214-88).
Les hommes adultes enfin souffrent comme les autres des rythmes effrénés, entre 13 et 14 heures de travail par jour en moyenne (de 5 heures du matin à 20 heures avec deux pauses pour le petit-déjeuner et le dîner) parfois jusqu'à 18 heures par jour. Les lieux de travail sont souvent dangereux et très mal ventilés. La maladie fait des ravages ; dans certaines usines de textile de Moscou, le taux d'ouvriers atteints de tuberculose est de 13,4%. Rien d'étonnant alors que sur 100 ouvriers de l'industrie textile, 9 hommes (et 6 femmes) seulement atteignent l'âge de 40 ans (219-196-88-74).
2- Médecine et inspection du travail
En 1866 une loi impose aux chefs d'entreprise de subventionner un lit d'hôpital pour 100 ouvriers. Elle mettra vingt ans pour être partiellement appliquée (74-154-50-214).
Quelques (grosses) usines possèdent de véritables hôpitaux. Ainsi l'usine de filature de coton de Ramensk (province de Moscou) qui fait travailler 6500 personnes offre à ses employés et à leur famille un hôpital de 90 lits et une maternité de 16 lits. D'autres fabriques négocient avec les hôpitaux locaux des zemstvos pour financer une partie de leurs lits hospitaliers obligatoires. Dans la province de Moscou (la plus dense en usines) sur les 133 établissements médicaux disponibles, 40 (30%) appartiennent à des fabriques et 13 (9,8%) sont cogérés par des usines et le zemstvo (214-50).
Mais ces exemples louables ne masquent pas une situation sanitaire le plus souvent mauvaise. La législation de 1866 d'une part oublie complètement l'aide médicale aux usines de moins de 100 personnes. D'autre part beaucoup d'entrepreneurs ont contourné la loi et n'offrent à leurs ouvriers qu'une pièce d'infirmerie voire une ambulance en cas d'accident de travail (214-50).
L'administration embauche des inspecteurs du travail chargés de dénoncer les erreurs sanitaires mais jusqu'en 1892 ceux-ci ne peuvent que soumettre un rapport à un comité composé du chef d'entreprise et de la police locale. Autant dire que peu d'actions aboutissent. En 1892 l'inspecteur n'est plus soumis qu'au contrôle de la police d'état (74).
Un important travail fut réalisé de 1879 à 1885 sous la direction du Suisse Friedrich Erismann. Les 1080 usines de la province de Moscou furent inspectées et on collecta des renseignements très précis sur les lieux de travail et leurs 114.000 ouvriers. Le résultat, publié en 17 tomes fut à la base de plusieurs lois sur le travail et fit la réputation d'Erismann. De nombreux chiffres avancés ici lui sont dus (196-154).
Les zemstvos furent d'abord responsables de l'application des lois sanitaires. Les médecins faisaient des tournées d'inspection des usines et des comités devaient approuver le plan d'une nouvelle usine avant sa construction. En 1899, la gestion de la médecine d'entreprise leur est retirée pour être transféré à un organisme spécialisé (154-74).
3- Accidents du travail et assurances sociales
Jusqu'en 1904, l'accident du travail est justifiable du droit général : l'ouvrier victime doit engager un procès et prouver la responsabilité de son employeur pour obtenir réparation.
Le taux d'accident du travail est très élevé : aux usines Sokolov : 6,7% d'accident du travail par an chez les tisseurs et 75% chez les ouvriers des chaudières. Les procès se multiplient, les sommes reversées deviennent considérables. Aussi dès 1888 apparaissent des compagnies d'assurance privées qui allouent des indemnités aux victimes. Les cotisations sont versées par les patrons qui espèrent voir diminuer les revendications de leurs ouvriers. La formule a immédiatement un grand succès ; en 1898 environ 600.000 ouvriers sont ainsi couverts soit 28% du prolétariat (50).
En 1903 le gouvernement adopte une loi de responsabilité sur les accidents du travail. Le chef d'entreprise est désormais automatiquement impliqué en cas d'accident sur le lieu de travail. A lui et non plus à la victime d'apporter les preuves de sa bonne foi (74-185).
Mais les travailleurs ne souhaitent pas en rester là. Une assurance sociale pour tous est revendiquée pendant les grèves très dures de 1904. Une loi adoptée en 1912 inaugure une certaine forme de sécurité sociale. Mais si les ouvriers contribuent pour 75% au budget de cette assurance, ils n'ont qu'un tiers des voix délibératives au comité directeur, les deux autres tiers revenant au patronat. D'autre part, tous les ouvriers ne sont pas encore couverts et beaucoup restent en marge.
En juillet 1917, une loi améliore leur représentation au sein de la
direction de l'assurance mais ce n'est qu'en décembre 1917 que l'assurance
sociale devient obligatoire pour tout le prolétariat (50-74-214-8).