C - MORTALITE INFANTILE
 

 

1- Statistiques

 

2- Analyse des causes

 

3- Les Maladies infantiles

 

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1- Statistiques

Pendant tout le XIXe siècle, la mortalité infantile en Russie reste très supérieure aux autres pays d'Europe. Les taux sont effroyables, très supérieurs aux pires statistiques des pays actuels les moins favorisés (les "records" pour 1996 sont détenus par la Sierra Leone avec 160 ‰ et l'Afghanistan, 159 ‰ décès avant un an (35). La première année est dramatique (figure 31). En 1892 encore, 375 enfants sur 1000 meurent avant leur premier anniversaire (156-106). Et la moitié des enfants ne parviennent pas à l'âge de cinq ans (166).
 

 

 

figure 31 : taux de mortalité (‰) par tranches d'âge de 1889 à 1893 (156)

 

Rappelons les difficultés pour avoir des chiffres statistiques corrects. Les registres des naissances et décès, plus ou moins bien tenus par les ministres du culte laissent, longtemps de côté les non-orthodoxes. Même quand ils sont bien tenus, les registres ignorent les enfants morts avant leur baptême. C'est donc une partie non-négligeable des naissances qui est mal appréhendée. L'effort statistique des zemstvos améliorera le recueil des données, on verra alors augmenter des statistiques de mortalité, sous-estimées jusque là. On a ainsi pu estimer officiellement à 240 ‰ le taux de mortalité avant un an vers 1800 (99) alors que Catherine II elle-même, s'indigne de l'hécatombe qu'elle exagère à 850 ‰ (225).

On observe des fluctuations saisonnières importantes du taux de mortalité. Les mois d'été sont les plus meurtriers, surtout pour les très jeunes enfants (figure 32).
 

 

 

figure 32 :index des mortalités par mois de 1900 à 1904, moyenne=100 (156)

 

Remarquons aussi une grande diversité géographique. Les taux de mortalité sont constamment retrouvés plus importants à l'est et au centre de la Russie d'Europe qu'à l'ouest de l'empire (figure 33).

 

figure 33 : carte des taux de mortalité infantile avant un an dans les provinces de la Russie d'Europe de 1868 à 1886 (154)

Plus étonnante encore est la forte différence des taux de mortalité infantile entre les différents groupes religieux de l'empire (figure 34). On remarque que si les enfants orthodoxes sont très majoritaires (85 % de la population), ils sont aussi les plus exposés et meurent deux fois plus que les petits Juifs. Cette différence est indépendante des facteurs géographiques et se retrouve partout dans le pays (156).
 

 

 

figure 34 : taux de mortalité infantile (‰) avant un an par religion (156)

 

2- Analyse des causes

La recherche des causes de ces disparités parfois étonnantes fit l'objet en 1886 d'une étude des pédiatres russes (166). Elle nous éclaire sur les modes de vie de l'époque.

La population, principalement rurale, est toujours fortement liée au propriétaire noble même si le servage a été aboli en 1861. Le travail est harassant pour un salaire de misère et les efforts de tous sont nécessaires pendant la saison des moissons. Les mères allaitantes sont obligées d'aider aux champs en abandonnant pour la journée leurs nourrissons qui se retrouvent sans rien à manger et sous la garde de jeunes enfants. Quand les mères rentrent, elles sont souvent trop fatiguées pour s'en occuper. Les accidents sont nombreux et les plus faibles survivent rarement à l'été (156). Le phénomène est encore aggravé par le grand nombre de naissances ayant lieu au début de l'été, leur conception remontant souvent à la fin des moissons de l'année d'avant. Les nourrissons sont ainsi très jeunes et très exposés pendant l'été (156). Les zemstvos tentèrent de développer des nurseries accueillant les enfants pendant l'absence des parents mais leur nombre et leurs effets furent limités (70). Certains auteurs contestent l'importance de ces absences en rappelant que dans les villes aussi on observe une recrudescence de la mortalité en été. D'autres facteurs, surtout épidémiques, semblent en effet s'ajouter (166).

Au manque d'allaitement pendant la journée s'ajoutent d'autres erreurs diététiques, parfois provoquées par les médecins eux-mêmes. Ils déconseillent souvent aux mères (riches) de nourrir elle-même leurs enfants (115). Chez les paysans, l'allaitement est tôt interrompu et remplacé rapidement par une alimentation solide mal supportée, en particulier du pain noir (70) ; et n'oublions pas les famines, encore fréquentes, celle de 1892 en particulier fut terrible. Les femmes musulmanes, pourtant plus pauvres que les orthodoxes, allaitent plus longtemps et travaillent moins aux champs (156). Leurs nourrissons survivent mieux à leur première année. Par contre, de un à cinq ans, la mortalité des petits musulmans dépasse celle des orthodoxes, probablement à cause de leur plus grande pauvreté (156). Les bons chiffres des familles juives s'expliquent probablement par la longue durée d'allaitement et une bonne réceptivité à l'assistance médicale. Il faut aussi signaler leur implantation citadine et leur relative prospérité (souvent des commerçants) par rapport aux paysans orthodoxes.

Les variations géographiques du taux de mortalité infantile sont plus complexes (figure 33). Il existe sûrement une influence climatique (hivers très froids au nord, étés chauds et parfois très secs dans le sud). Le faible taux de mortalité des provinces baltes où vivent les protestants est à rapprocher des parcelles de terrain, plus petites et mieux entretenues, où les paysans plus autonomes atteignent presque l'autosuffisance (156). Méfions-nous des bons chiffres apparents des provinces du sud et de l'ouest. Sous-médicalisées, ces provinces sont aussi beaucoup moins bien étudiées, la mortalité infantile y est probablement très sous-estimée.

Les causes de la mortalité infantile englobent bien sûr les autres problèmes endémiques de la santé russe : hygiène déplorable, superstitions et insuffisance de l'aide médicale.

3- Les maladies infantiles

Enfin, les maladies infectieuses achèveront de décimer les nourrissons affaiblis. La transmission est favorisée par l'utilisation de la "soska", tétine de tissu pré-mâchée par une grand-mère.

Les maladies infantiles sont mal enregistrées. On observe entre 160.000 et 400.000 cas de scarlatine par an entre 1890 et 1902 avec des pics tous les 4 ans. La mortalité s'élève annuellement à 100.000 enfants en moyenne. La rougeole tue aussi dans des proportions comparables (figures 35et 36).
 

 

 

figure 35 : évolution de la mortalité annuelle de cinq maladies (diphtérie, rougeole, coqueluche, variole, scarlatine) de 1893 à 1912 (156)

 

La coqueluche fait 50.000 victimes par an chez les enfants (figures 35 et 36).

La diphtérie fait des ravages pendant le XIXe siècle et tue 130.000 personnes par an (surtout des enfants) vers 1895 (figures 35 et 36). Le traitement efficace de la diphtérie par la fabrication de sérum antidiphtérique fut l'une des premières victoires importantes de la médecine des zemstvos : au début de la Première Guerre Mondiale, la mortalité est descendue à 55.000 par an.
 

 

 

figure 36 : mortalité totale de cinq maladies (diphtérie, rougeole, coqueluche, variole, scarlatine) de 1891 à 1914 (24ans) (156)

 

Réalisée dans le gouvernement de Moscou, une étude des maladies infectieuses suivant les mois de l'année a beaucoup intéressé les épidémiologistes de l'époque (figures 37, 38, 39). Nous présentons ici les pathologies à dominante infantile. C'est un travail de grande valeur rassemblant 440.000 cas sur 15 ans (154).
 

 

 

figure 37 : évolution saisonnière des cas de rougeole, scarlatine et variole, région de Moscou (1883 à 1896) (154)

 

 

 

figure 38 : évolution saisonnière des cas de coqueluche, pneumonie croup et diphtérie, région de Moscou (1883 à 1896) (154)

 

 
 

 

 

figure 39 : évolution saisonnière des cas de dysenterie et grippe, région de Moscou (1883 à 1896) (154)

 

Le choléra et les autres diarrhées tuent en grand nombre les jeunes enfants déjà malingres.

Dans les provinces du sud surtout, la malaria est très répandue. Une étude réalisée à Voronej en 1903 montre que 50 % des enfants entre 10 et 14 ans sont infectés par du Plasmodium (40).

 

Les efforts de santé publique portent malgré tout leurs fruits. La mortalité annuelle de cinq maladies infantiles traditionnelles (diphtérie, rougeole, coqueluche, variole, scarlatine) décroît lentement, passant de 480.000 décès en 1891 à 315.000 vers 1914 (figure 40). Elles sont responsables en 24 ans de 9.500.000 décès, des enfants pour la plupart.
 

 

 

figure 40 : mortalité annuelle cumulée de cinq maladies (diphtérie, rougeole, coqueluche, variole, scarlatine) de 1891 à 1914 (156)

figure 41 : consultation pédiatrique à l'hôpital Prince-Peter-Oldenbourski de Saint-Pétersbourg vers 1900 (109)

A l'aube de la Première Guerre Mondiale le taux de mortalité infantile de la Russie d'Europe se situe aux alentours de 250 ‰, bien supérieur encore aux autres pays européens (156).
 

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