B - LES MEDECINS
4- Le Rang |
5- Les Origines |
6- Les Revenus |
7- popularité |
Quand commence le XIXe siècle, on ne compte guère que 1500 médecins pour tout l'empire ce qui ne représente qu'un médecin pour 24.000 russes (99). Ce chiffre même n'est qu'une moyenne brute ; en fait, un tiers des médecins sont militaires et les autres, médecins civils sont presque tous des citadins qui n'ont qu'une clientèle d'aristocrates ou de riches marchands. La quasi-totalité de la population vit donc sans assistance médicale.
figure 44 : nombre de médecins en Russie de 1800 à 1910 (89-99-143-70-57-221-40-121-74-178-131-125)
La situation évolue cependant au cours du siècle (figure 44), la Russie se dote d'universités de qualité et produit peu à peu les praticiens dont elle a besoin. Vers 1917, 1500 nouveaux médecins obtiennent leurs diplômes chaque année. Surtout, à partir des années 1870, l'activité médicale des zemstvos va enfin pouvoir apporter une première aide médicale aux campagnes. Si la figure 45 montre l'évolution brute de la densité médicale, les disparités sont toujours très vives : en 1912, 72 % des médecins pratiquent en ville où l'on compte un médecin pour 1450 habitants. Seulement 28 % travaillent à la campagne où ils ne sont qu'un pour 21.600 habitants (178-14) ! Encore peut-on tempérer ce chiffre si on ajoute aux médecins des campagnes les aides-médecins ou feldshers ; on obtient alors un médecin pour 3200 campagnards. La disparité est aussi géographique, comme toujours en Russie. Le gouvernement d'Arkhangelsk est particulièrement mal loti : en 1899 il n'y avait que 14 médecins pour 373.000 habitants répartis sur 932.500 km² soit un médecin pour 26.500 personnes et pour 66.600 km² (c'est plus que la Franche-Comté et la Suisse réunies).
figure 45 : nombre d'habitants pour un médecin de 1800 à 1910 (143-70-40-49-178-14-154)
Dans la Russie du XIXe siècle, il n'est pas nécessaire de passer une thèse universitaire pour pratiquer la médecine. La thèse et le doctorat n'intéressent en fait qu'une minorité d'étudiants qui désirent faire une carrière universitaire (89-143-24-57). C'est exactement l'inverse de l'Allemagne où le titre de docteur en médecine ne suffit pas pour exercer puisqu'il faut obtenir également une autorisation à Berlin (57). En Russie après 5 ans d'étude, la validation de ses 10 examens semestriels et d'un examen final, l'étudiant, s'il a l'âge minimum de 24 ans est promu médecin "avec tous les droits et tous les privilèges qui sont attachés à ce titre" (219-143).
Le terme russe de l'époque pour médecin est lékar (ktrfhm), dérivé du suédois läkare ou de l'allemand liegen (garder le lit) (100), mais on utilise aujourd'hui surtout le terme de vratch (dhfx) qui viendrait du verbe vrat (dhfnm), mentir ; ainsi le médecin en russe est celui qui ment ! Le lékar est l'équivalent exact du docteur en médecine générale français ou du M.D.(Doctor of Medicine) américain.
figure 46 : image satyrique du peintre russe Térébénev de 1812 montrant un médecin examinant Napoléon (19)
Au début du XIXe siècle, il existe deux niveaux de médecins selon la mention qu'ils obtiennent à l'issu de leurs études. Les meilleurs sont lékars à part entière les autres reçoivent le titre de chtab-lékar, c'est à dire sous-médecin. Le suffixe "chtab-" évoque un terme militaire et témoigne de la vocation martiale des premiers médecins, on parle de "chtab-lékar" comme de "sous-officier". La distinction disparaît vers 1845 lors d'une réforme universitaire. Tous les étudiants qui réussissent leurs 5 ans d'études sont considérés comme médecin.
S'il décide d'arrêter là ses études, le jeune lékar voit devant lui s'ouvrir plusieurs voies possibles. Il peut, après concours entrer dans une administration, un zemstvo ou une usine (57). Mais ces postes salariés aux revenus assurés sont rares et les candidats s'y bousculent. La majorité de la promotion devra tenter sa chance dans l'exercice hasardeux d'une pratique libérale. Véressaïev dans son texte devenu fameux Récits d'un médecin (219) raconte les angoisses du jeune praticien qui se retrouve livré à son ignorance après des études presque exclusivement théoriques. Il décrit les médecins minés par une activité incessante et des revenus misérables (114-219). Il est vrai que dans le Paris de la même époque, le sort du jeune installé est très comparable (43) mais s'y ajoutent des particularités russes. Le code des lois est en effet particulièrement contraignant. Le médecin a le devoir de se déplacer pour tout malade ou famille qui l'exige. Si cette disponibilité semble aujourd'hui naturelle, il ne faut pas oublier que certaines parties de la Russie ne possèdent alors qu'un médecin pour 20.000 habitants et pour 65.000 km² ! La population médicale de l'époque ne permet pas une telle exigence. Malgré cela en cas de manquement, les amendes sont lourdes et les recours judiciaires minces. La loi interdit également au médecin de percevoir un honoraire si le patient n'a pas les moyens de payer. Si aucun praticien ne remet en cause l'aide gratuite aux indigents, tous s'insurgent contre les abus de nombreuses personnes trouvant là l'excuse pour ne jamais dédommager le médecin. Là aussi la structure même de la société est en cause. La création avec les zemstvos d'une aide médicale gratuite par des médecins salariés de la communauté sera la meilleure réponse aux besoins d'une population pauvre très peu médicalisée. Pour les médecins également, le zemstvo sera la structure qui correspondra le mieux à leurs aspirations professionnelles.
Durant la première moitié du XIXe siècle, la médecine est essentiellement citadine et aristocratique.
Les quelques médecins installés à la campagne sillonnent les gentilhommières des hobereaux. Ils n'acceptent de recevoir les paysans qu'à leur cabinet en refusant catégoriquement toute visite à domicile, malgré les lois que les paysans ne connaissent d'ailleurs pas. On connaît quelques très rares et héroïques exceptions de médecins de campagne dévoués.
Un grand mouvement humaniste de "marche vers le peuple" apparaît dans les années 1860 (168). Un souffle de libéralisme souffle alors sur la Russie et la jeunesse, enthousiaste, rêve d'un avenir meilleur. Les universités se gorgent d'étudiants qui choisissent souvent la médecine comme le meilleur moyen d'aider le peuple. Ce mouvement idéaliste et matérialiste engendrera aussi bien les terroristes anarchistes désorientés de Dostoïevski que (sont-ce les mêmes ?), des années plus tard, les doux intellectuels déçus et amers des œuvres de Tchekhov. C'est encore une fois dans l'activité médicale des zemstvos que ces médecins exprimeront le mieux leur passion et leur dévouement. Nous verrons que, vers la fin du siècle, les médecins se regroupent et prennent conscience de leur pouvoir. Au sein de sociétés médicales dont la plus importante sera la société Pirogov, ils vont parvenir à devenir un partenaire incontournable de la vie médicale.
Les médecins paient un lourd tribu à leur profession. Aux avant-postes et sans protection contre toutes les épidémies qui déciment la Russie, ils sont très exposés. Les maladies infectieuses représentent 37% des causes de mortalité des médecins de zemstvos (219). Le découragement aussi les gagne. Alors que le taux moyen de suicide est très bas en Russie (0,03 ‰ par an) il atteint 2 ‰ chez les médecins de 25 à 35 ans (67 fois plus) (219-199)
3- Docteurs en médecine, privat-docents et professeurs
Nous étudierons plus tard ces carrières universitaires
Pour comprendre les rapports de toute la société russe, il nous faut rapidement revenir au temps de Pierre le Grand. En 1722, le tsar veut entièrement réformer la noblesse. Auparavant être noble, comme partout en Europe, c'est descendre d'une famille noble ou anoblie. Pierre substitue au principe héréditaire celui de service à l'état. Toute personne qui sert l'état est considérée comme noble et hiérarchisée selon une table des rangs, le tchine. Le tableau comprend quatre séries parallèles pour l'armée, la marine, la cour et l'administration civile. Chaque série comprend 14 échelons qui se correspondent d'une série à l'autre (132).
Jusqu'à la révolution, toute la société vit sous l'obsession du tchine. Entre le minable "registrateur de collège" de 14e rang cher à Gogol et le prestigieux "chancelier d'état" au 1er rang, il y a la même distance qu'entre le "cornette de cavalerie" et le maréchal, mais tous appartiennent à la noblesse. Les paysans, les ouvriers, les marchands et les professions libérales qui n'appartiennent pas au service ne peuvent prétendre à la noblesse.
L'étudiant qui entre en première année de médecine fait ses premiers pas dans le système en commençant au 14e rang (143). Vers 1850 à l'université de Kazan, un panneau rappelait d'ailleurs "Vous n'êtes plus des citoyens ordinaires mais des serviteurs de l'état" (70). Quand ses études sont terminées et que, lékar, il trouve un poste dans une administration, le médecin accède au 9e rang de "conseiller titulaire" (capitaine dans l'armée). Quand on s'adresse à lui, on doit commencer ses phrases par " Votre haute bonne noblesse". S'il obtient le doctorat, le médecin est alors au 8e rang ("assesseur de collège", équivalent de commandant), il a droit à un respectueux "Votre haute noblesse". La lente ascension peut alors commencer qui engloutira toute l'ambition d'une carrière. En général on s'élève d'un rang tous les 4 ans de loyaux services. Les impatients peuvent gagner plus vite leurs galons en allant servir en Sibérie : deux jours passés là-bas compteront pour trois dans leur carrière (et peut-être plus dans leur vie !). Le médecin peut ainsi s'élever jusqu'au troisième rang envié de "conseiller secret". Seule une exceptionnelle faveur du tsar peut conférer l'inespéré 2e rang de "conseiller secret actuel" (143-129).
La médecine est un métier relativement nouveau en Russie, il a surtout été exercé par des praticiens étrangers avant le XIXe siècle. Malgré les efforts de l'administration, les parents de bonnes familles hésitent à envoyer leurs enfants vers ces métiers peu connus et méprisés par l'aristocratie (143). Vers 1850, si les fils de nobles sont 62% à Saint-Pétersbourg, ils ne sont que 44% à l'université de Kazan et 43% à Moscou (89). C'est surtout la petite bourgeoisie et la petite noblesse désargentée (souvent ukrainienne) qui fournit les rangs des étudiants en médecine. On rencontre beaucoup de fils de soldats, de prêtres, de cosaques ukrainiens ou de commerçants (122-94-70). Notons que les études sont ouvertes à l'ensemble de la population. Avant 1861, des propriétaires envoient même à l'université certains de leurs serfs les plus doués ; une fois médecins, ils doivent revenir soigner leurs maîtres pendant six ans avant d'être affranchis (70).
De nombreux Juifs sont attirés vers les carrières médicales. Par tradition culturelle d'abord mais aussi car tous les postes administratifs leur étant interdit, ils peuvent trouver dans l'exercice libéral un métier intéressant. Ils leur faut cependant subir des quotas draconiens à l'entrée des universités. Dans de rares cas de catastrophe ou d'épidémie, le gouvernement peut accepter avec répugnance d'utiliser leurs services. Le salaire qui leur est reversé est bien entendu misérable (74).
Après 1917, la prolétarisation de la profession s'accélère, les enfants de paysans et d'ouvriers forment 30% des étudiants de l'Académie Médico-Chirurgicale de Pétrograd en 1918 et 62% en 1920 (226).
Les médecins du XIXe siècle sont unanimes à se plaindre de leurs revenus qui leurs permettent à peine de survivre. Le temps est loin où les rares médecins étrangers arrivant en Russie recevaient des cadeaux princiers et faisaient fortune (143-183-76). Quelques sommités reconnues et des médecins de cour gagnent encore grassement leur vie mais ils ne sont plus que les exceptions d'une réalité difficile.
Une étude du Dr Grebenchikoff vers 1900 (cité in 219) trouve une moyenne des revenus, tous médecins confondus, de 1160 roubles par an. Les rares femmes-médecins ne gagnent en moyenne que 833 roubles par an soit un tiers de moins que leurs confrères (219).
Pour tenter d'établir une correspondance qui sera de toute façon hasardeuse, comparons avec la France de la même époque. La majorité des médecins français parvient difficilement à faire vivre une famille avec environ 7000 francs de revenus annuels, soit 9 fois le revenu d'un ouvrier (43). Le médecin russe gagnant 1000 roubles par an est déjà à l'abris du besoin, mais cette somme ne représente que 2700 francs français de l'époque et 6 fois seulement le salaire d'une famille d'ouvriers russes.
Les salaires les plus stables sont ceux des médecins salariés directement par l'état comme les universitaires et les médecins officiels de santé publique. Un professeur ordinaire touche 3000 roubles par an, 2000 pour un professeur extraordinaire et 1500 pour un privat-docent. A ces revenus déjà confortables, ils peuvent ajouter les cours payés par leurs étudiants (800 à 1000 roubles de plus), une activité libérale qui peut être importante et des primes s'ils publient un ouvrage original. Ceux qui acceptent un poste à l'université de Tomsk en Sibérie voient leur salaire majoré de 50% (89-57-72-143). l'Académie Médico-Chirurgicale de Saint-Pétersbourg, la plus prestigieuse école de médecine de l'empire, recrute sur concours ses étudiants qu'elle rémunère dès la deuxième année à 350 roubles par an. Les autres étudiants ne sont évidemment pas payés et certains doivent se contenter pour vivre de 20 roubles par mois (57). Ce sont souvent des anciens de l'Académie Médico-Chirurgicale qui réussissent aux concours officiels de santé publique. Ils sont alors payés 800 roubles par an et peuvent toucher jusqu'à 3000 roubles par an s'ils deviennent médecins inspecteurs généraux. Au bout de 35 ans, ils touchent une retraite proportionnée à leur grade (57).
L'activité médicale salariée est très recherchée car permet seule d'avoir une (petite) assurance financière. Mais les organismes privés (usines) ou autonomes (zemstvos, municipalités) ont tendance, vu la forte demande, à maintenir les salaires très bas. Une usine peut ainsi employer un médecin qui y fera 3 visites par semaine pour 50 roubles par an (74). On rapporte que "les brigadiers de police et les concierges de Petersbourg sont mieux payés que les médecins des administrations" (219) qui vivent "comme des oiseaux dans l'air" (74). Beaucoup de médecins salariés des hôpitaux urbains ne gagnent que 600 roubles par an et certains médecins de ville ne sont payés que 200 roubles par an par la municipalité pour un travail très important. Les hôpitaux sont remplis de médecins travaillant sans salaire, déjà contents d'y trouver une place pour parfaire leurs études incomplètes (219-94). Les zemstvos, sous la responsabilité économique des notables locaux, cherchent eux-aussi à obtenir une main-d'œuvre médicale aux plus bas coûts possibles. La moyenne des salaires annuels y est de 1000 roubles mais l'afflux des demandes (on en voit jusqu'à 100 pour un poste) a même tendance à faire baisser la rémunération à 800 roubles par an (57-154). Au zemstvo "modèle" de Moscou, un médecin touche 1200 roubles par an en plus de son logement de fonction. Son salaire est augmenté de 15% tous les trois ans. A partir de 1895 il doit cotiser à une caisse de retraite (154).
La pratique libérale de la médecine réunit presque tous les médecins russes. Complément indispensable pour les uns, c'est l'unique source de revenu pour ceux qui n'obtiennent pas de poste salarié, c'est à dire la majorité des médecins (219). l'Académie Médico-Chirurgicale fixe les tarifs de consultation à 3 roubles pour un généraliste, 5 pour un spécialiste et 10 pour un professeur, mais ces tarifs indicatifs ne correspondent pas à la réalité (92). Dans une société pauvre et sans assistance sociale comme la Russie tsariste, le prix d'une consultation médicale est souvent inaccessible (trois semaines de travail d'un ouvrier) sans parler des médicaments (130). Le médecin doit par statut offrir son travail gratuitement aux indigents ce qui sert souvent d'excuse à des familles aisées pour ne pas rétribuer le médecin. On peut estimer que la moitié du temps de travail du médecin est ainsi dépensée sans aucun retour d'honoraire (52-219).
Tous les praticiens se plaignent des rapports financiers désagréables avec les familles. Traditionnellement, à l'issu d'une visite où aucune question d'argent n'a été soulevée, c'est un membre de la famille sur le perron de la demeure qui glisse les honoraires dans la main du médecin. Ce dernier doit "accepter l'argent en cachette et avec confusion, comme s'il touchait quelque pot-de-vin honteux et illégal" (74-219). Bien souvent aussi les honoraires non payés s'accumulent mais malheur au médecin qui réclame son dû ; payé ou non, il perd immédiatement la confiance de la famille qui s'empresse de lui faire une réputation de cupidité.
La pauvreté des campagnes interdisait presque au médecin libéral de s'y installer avant les zemstvos. Certains postes médicaux ruraux existaient mais ils étaient peu prisés car les faibles salaires ne pouvaient guère s'arrondir d'une clientèle privée rare (94).
Le médecin russe du XIXe siècle est le représentant typique de "l'intelligentsia", une classe sociale et culturelle en train de se former. Cultivé, dépositaire d'une pensée moderne et progressiste, il est aussi fortement lié au milieu de la moyenne bourgeoisie qui se développe fortement dans la Russie de cette époque comme dans la France du XVIIIe siècle. Cette position moyenne détermine les rapports que les médecins entretiennent avec la haute société qui les méprise et les paysans qui en ont peur.
Pour l'aristocratie, le médecin n'est qu'un technicien qu'on appelle en cas de besoin mais avec qui on ne se permet aucune intimité. Souvent traités comme des laquais, ils sont même assimilés à la domesticité habituelle quand une famille s'attache un médecin de famille. Employé à temps plein ou partiel, il aura alors le devoir de prendre quotidiennement soin de ses employeurs, qui sont bien souvent aussi de mauvais payeurs. Bien entendu, les familles riches se réservent la possibilité de recourir à une ou plusieurs sommités médicales si une maladie plus sérieuse apparaissait, le médecin de famille ne jouant alors plus aucun rôle.
L'aristocratie provinciale qui vit sur ses terres est de caractère plus simple et avenant. Un médecin libéral qui aura le courage de s'installer en campagne pourra devenir un notable respecté et même un ami de famille apprécié.
Chez les paysans, l'image du médecin est tout autre. C'est d'abord un "monsieur" de la ville, à la tête truffée d'idées bizarres, un occidentaliste qui vient diffuser des nouveautés dangereuses, bref "un gars pas de chez nous". Et puis quand on le consulte, il invente des traitements cruels (saignées, sangsues et ampoules sont rejetées avec horreur par les paysans) qu'il décrit dans des mots inconnus et "pas chrétiens" (toutes les ordonnances sont rédigées en latin, encore de nos jours) (183). On préfère les bonnes vieilles znakharkas qui soignent avec des potions d'herbes "de chez nous" et les mots magiques "comme nos ancêtres".
Enfin et surtout, les médecins sont assimilés à des tchinovniks ("fonctionnaires" officiels) avec toute la crainte qu'ils peuvent inspirer dans les campagnes. Avant les zemstvos, l'apparition d'un médecin dans un village est forcément lié à un événement désagréable : inspection, médecine légale, épidémie, etc.(154) Rappelons que les émeutes pendant les épidémies de choléra s'en prenaient fréquemment aux médecins, accusé de collusion avec l'étranger ou le gouvernement pour empoisonner le peuple.
Quand les premiers médecins de zemstvo s'installent dans les
campagnes, ils n'inspirent d'abord que crainte et suspicion. Leurs assistants,
les feldshers sont souvent d'origine populaire et à ce titre mieux
assimilés par la. La bataille des cœurs sera gagnée par le dévouement des
médecins, la gratuité des soins mais aussi par les résultats concrets. Les
moyens de lutte efficaces contre la variole (vaccination) ou la diphtérie
(sérothérapie) les rendront populaires et indispensables. Bien vite, le succès
sera tel que les maigres moyens de soins ne suffiront plus à satisfaire la
demande.