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HYGIENE
1- L'Alcoolisme
L'alcoolisme est depuis fort longtemps une plaie vive dans la santé russe. De
nombreux témoignages rapportent l'intempérance légendaire du moujik.
Contrairement à la France par exemple, il s'agit moins d'une consommation
quotidienne qu'une absorption massive, de fête. Tous les dimanches et jours
fériés, le paysan va s'acheter une bouteille de vodka qu'il vide rapidement
avant de tomber ivre mort.
Ce type de consommation explique en partie la forte mortalité éthylique. On recense en effet 55 décès par an par alcool pour un million de russes contre 11 décès en France et 12 en Allemagne vers 1899 (199). De 1889 à 1898, la consommation annuelle moyenne (sur l'ensemble de la population, enfants compris) est de 6,5 litres d'alcool à 40° (56).
Avant 1864, seuls les nobles ont le droit de fabriquer de l'alcool mais sans aucun contrôle. Les propriétaires terriens en tirent grand profit, de même que leurs paysans qui tiennent l'alambic. Les distilleries sont équipées de façon primitive et les alcools, trafiqués, sont souvent de mauvaise qualité. Mais leur faible coût en généralise la consommation (56).
Le gouvernement en introduisant le système d'accises en 1864 règlement un peu la production. L'état désormais taxe l'alcool pour son plus grand profit ; l'impôt sur le "vice national" représentent près du quart des recettes annuelles vers 1890 (129-56). Le russe continue de s'enivrer au kabak ("cabaret") et au traktir ("estaminet").
La loi de 1894 aura une réelle influence sur la consommation d'alcool. L'état prend en effet le monopole de la vente des spiritueux. L'alcool est encore produit par des distilleries privées mais il est contrôlé, rectifié et épuré dans les dépôts officiels, ce qui garantit théoriquement sa qualité. Mais surtout, la consommation en débit de boisson est interdite. Le traktir, sous licence d'état, se contente désormais de vendre l'alcool en bouteille que le consommateur ne peut boire qu'à plus de 50 mètres du magasin. L'effet pervers est qu'on voit alors se multiplier les réunions d'ivrognes et les cas d'ivresse publique. Mais il semble bien que ces mesures aient fait diminuer la consommation d'alcool. L'état peut ainsi à la fois se targuer de combattre le vice tout en renflouant ses caisses car le prix de l'alcool a fortement augmenté. Bien évidemment, le monopole d'état encourage la contrebande et le "ministre des Finances, patron du monopole, confesse officiellement la difficulté de trouver des employés sûrs et honnêtes" (129-214-126).
Vers la fin du XIXe siècle commencent à apparaître des "sociétés de sobres". Une des premières du genre semble être celle de Torjok (province de Tver) en 1894. Les participants de toutes origines sociales jurent de ne pas boire d'alcool et mènent une propagande active contre l'intempérance. D'autres associations voient le jour à Moscou (1895) et à Tverj (1896) (160).
Alexandre Korovine marque les débuts de la lutte antialcoolique. En 1898 il ouvre aux environs de Moscou une des premières cliniques de désintoxication d'une dizaine de places. Il fonde en 1912 la "Société des médecins sobres" devant prévenir et combattre l'alcoolisme (68).
Quand les soviets prennent le pouvoir, ils déclarent immédiatement la guerre à l'alcoolisme. La vodka est interdite, représentant le "symbole de l'abrutissement dans lequel l'ancien régime maintenait délibérément les masses" (224). Mais comme aux Etats-Unis de 1919 à 1933, la prohibition ne servit qu'à favoriser la contrebande et enrichir les trafiquants. "Face à Trotski qui considérait que "toutes les suites de l'alcoolisme - jours de travail perdus, produits défectueux, accidents du travail, bagarres, maladies - nous coûtent bien plus cher que ce que nous rapportent les taxes sur l'alcool", Staline se montra un des plus ardents défenseurs de la reprise de la fabrication de la vodka." (224) L'alcool est progressivement remis en vente à partir de 1924 (224-74).
2- Les Bains (46-129-214)
Les auteurs étrangers et russes s'accordent pour décrire l'extrême saleté des maisons et des habitants ; la vermine pullule, les punaises vous dévorent. Il existe cependant une véritable institution populaire qui permet à tous les russes des se laver régulièrement. Du moujik au tsar, tous vont au moins une fois par semaine aux "<fyb" (aux bains). C'est traditionnellement le samedi, veille de l'office, que l'on va en famille faire ses ablutions.
Un établissement complet comprend trois pièces : une antichambre où on se déshabille, une salle de bains où l'on dispose de baignoires d'eaux de différentes températures et où des masseurs sont à votre disposition et enfin l'étuve où la vapeur est entretenue en versant de l'eau sur des pierres rougies au feu. Beaucoup de villages ne disposent que d'une étuve plus ou moins bien isolée mais la fréquentation n'y est pas moins forte. Les témoignages amusés ou indignés des voyageurs du XVIIIe siècle rapportent la mixité des établissements où tous, hommes, femmes, enfants et vieillards s'y côtoient dans le plus simple appareil. Parfois aussi, les bains deviennent des lieux privilégiés pour la prostitution. Catherine II interdit la mixité aux bains mais son oukase n'est appliqué que peu à peu et surtout dans les grandes villes. Au XIXe siècle en tout cas, aucun des voyageurs français (légèrement déçus) ne rapporte s'être dénudé aux bains face à l'autre sexe (46).
Les auteurs ont beaucoup écrit sur les bienfaits de ces bains de vapeur sur
la santé, leur attribuant parfois la vitalité et la robustesse des Russes.
Retenons pour le moins que cela leur permettait de se laver une fois par
semaine, ce qui est loin d'être le cas des français ou des anglais à la même
époque. Malheureusement, une fois reluisant de propreté en sortant des bains,
les russes remettent les mêmes habits, toujours aussi sales et contenant bien
sûr leurs habituels parasites. La pratique des bains a perduré jusqu'à
aujourd'hui et l'auteur de cette thèse avoue que son passage aux bains de la
rue Marat à Moscou fut l'un de ses meilleurs souvenirs russes.