E - FAMINES

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De nombreuses famines déciment la Russie jusqu'en 1933. Dans les autres pays occidentaux, la mécanisation, l'industrialisation de la production agricole et les échanges commerciaux permettent de réduire les effets des mauvaises récoltes dès la deuxième partie du XIXe siècle.

Du XIe au XVIIIe siècle, les annales rapportent 23 famines soit un peu moins de 3 par siècle en moyenne. Certaines sont terribles, les auteurs racontent des cas nombreux de cannibalisme et de vente d'enfants par leurs parents (74).

Le XIXe siècle et le début du XXe voient une multiplication du nombre des années de disette. On relève : 1822, 1833, 1840, 1873, 1880, 1883, 1891-1892, 1904-1907, 1911, 1919-1921 et 1932-1933, soit 12 en 110 ans (74).

Pourquoi autant ? L'agriculture russe au XIXe siècle vit comme ailleurs un tournant capital. L'augmentation démographique d'une part exige des récoltes de plus en plus abondantes. Les nouvelles techniques d'autre part bouleversent les habitudes. La culture extensive, l'utilisation d'engrais sont encore mal maîtrisées par les paysans qui travaillent à la main. S'ajoute une constante naturelle : le climat continental dont bénéficie la Russie provoque plus qu'ailleurs des écarts météorologiques très importants d'une année à l'autre. Dans ces conditions, les années de sécheresse peuvent être terribles, expliquant la variabilité excessive de la production agricole.

La figure 43, illustre les variations de rendement de blé sur 15 ans. Entre 1888 et 1892, la production subit une baise de 46%, presque moitié moins en 4 ans ! Les chiffres sont comparables sur les autres céréales (186-47).

 

 

 

figure 43 : rendement en % de la production de blé de 1884 à 1898 (186)

 

Les dernières famines sont les plus marquantes.

En 1891-1892, le choléra s'ajoute aux mauvaises récoltes pour le malheur des paysans. 35 millions de russes sont affamés (74).

Les zemstvos décident de s'attaquer au problème. Lors de l'épidémie suivante en 1899, la Société Pirogov (réunissant les médecins de zemstvo) organise seul une lutte efficace. Les actions gouvernementales sont tardives et de peu d'ampleur (47). Les zemstvos en outre commencent d'étudier avec précision le phénomène par une commission statistique. Mais les premières conclusions mettent en évidence les lacunes du gouvernement. L'enquête est désormais hors-la-loi, des gendarmes empêchent le recueil des données (61).

 De 1904 à 1907, les épidémies se succèdent annuellement dans un climats pré-révolutionnaire. Malgré l'insistance de la Société Pirogov, les zemstvos ne sont pas autorisés à venir en aide aux populations. Seule la très officielle Croix-Rouge Russe pourra fournir une aide appréciée mais insuffisante aux affamés (60-61).

En 1911, la famine touche un tiers de la population de la Russie d'Europe et une partie de la Sibérie (74).

La famine de 1919-1921 est peut-être la pire qu'ait connu la Russie, 5 millions de personnes succombent. Le pays est ravagé par la guerre civile, les structures sanitaires sont totalement désorganisées. Dans ce contexte survient une sécheresse comme on en vit peu, la récolte tombe à un niveau dramatique. Dans les campagnes décimées, les pires scènes deviennent alors quotidiennes : de la viande humaine est vendue sur les marchés, des personnes tuent pour manger leur famille, etc. Le cannibalisme est devenu un phénomène ordinaire : "Les gens mangeaient surtout leurs proches à mesure qu'ils mourraient ; on nourrissait les aînés des enfants, mais les nourrissons qui n'avait pas encore appris à vivre n'étaient pas épargnés, si maigre que fut le profit. Chacun dévorait dans son coin, personne n'en parlait" raconte l'écrivain Ossorguine (cité in 224).

Evoquons brièvement la dernière grande famine russe de 1932-1933, provoquée par le premier plan quinquennal stalinien. Les objectifs fixés, irréalistes et démesurés ne sont non seulement pas atteints mais la production est immédiatement retirée des campagnes où la famine fait entre 4 et 5 millions de victimes. Cette famine est mal connue car elle est totalement niée par les dirigeants de l'époque. Staline traite même publiquement de menteur un délégué ukrainien venu à Moscou réclamer du blé pour sa population (224).

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