A - Présentation
La Médecine en Russie de 1801 à 1917 ; et d'abord pourquoi ?
Commençons par le plus simple : les dates.
1801 voit l'avènement d'un nouveau siècle et d'un nouveau tsar. Alexandre 1er promet enfin les réformes qui feraient sortir son pays d'un fonctionnement quasi-féodal. Si ces espoirs sont rapidement déçus, une soif de modernité encourage les arts et les sciences.
1917 évoque à tous la révolution communiste. N'oublions pas qu'il y eut en fait deux révolutions cette année-là : La première en février met fin au régime tsariste et la deuxième en octobre amène au pouvoir le parti de Lénine.
Entre ces deux dates, une société qui se cherche, propose, subit et finalement explose.
Pourquoi la Russie ? Pays immense et complexe, mal connu et parfois mal aimé. Nous essayerons de faire connaître, d'intéresser et pourquoi pas de faire aimer ce pays attachant à la culture riche et polymorphe.
Les sciences, la médecine en particulier furent longtemps importées des pays occidentaux. Nous verrons au cours du XIXe siècle l'émergence d'une école médicale proprement russe avec ses particularités d'enseignement et de recherche.
Plus important nous semble-t-il est le souci constamment manifesté d'une plus grande justice sociale et médicale. Ce combat est mené par les médecins eux-mêmes qui inventent et mettent en place un système de santé moderne et performant.
Enfin, il eut été incomplet de ne pas évoquer l'œuvre des très grands écrivains qui jalonnent le XIXe russe. La qualité de leur art et leurs témoignages sur les problèmes sociaux et médicaux de leur temps méritent qu'ils trouvent place ici.
[Les chiffres entre parenthèses renvoient à la bibliographie]
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B - LA RUSSIE DE 1801 À 1917 : rappels historiques (168-30-123-132)
La Russie au début du XIXe siècle est encore pour une large part le pays qu'a réformé (presque formé) Pierre 1er (le grand) au début du XVIIIe siècle : une contrée immense pour une société encore archaïque et féodale, très hiérarchisée, sur laquelle règne le Tsar (ou la Tsarine) en autocrate absolu.
Une caractéristique russe est déjà bien présente : l'énorme machine administrative, forgée par Pierre 1er qui fait de tout citoyen russe (même noble ou ecclésiastique) un serviteur de l'état. Deux problèmes gangrènent ce système : une corruption de tous les niveaux et la question du servage qui obsédera la vie politique et sociale du XIXe.
Le règne de Catherine II (1762-1797), s'il est brillant et éclairé, n'apporte guère de réformes. Le bref règne de son fils Paul 1er (1797-1801) ne laisse que le souvenir d'une "tyrannie mesquine" (168).
Le fils de Paul 1er prend le pouvoir au cours d'une révolution de palais dans laquelle Paul est tué. En est-ce la cause? la personnalité d'Alexandre sera toujours énigmatique et déroutante.
Le début du règne éveille pourtant tous les espoirs des libéraux du pays. Jusqu'en 1812 il réalise plusieurs progrès importants (notamment de l'éducation et de la constitution) et surtout il montre une réelle volonté de s'attaquer au problème du servage et même de l'autocratie. Mais son caractère faible et arbitraire l'éloigne peu à peu de ces projets de changement.
Le tournant du règne est 1812 avec l'invasion de Moscou par Napoléon. Après des combats exceptionnellement meurtriers, les armées russes de Koutouzov parviennent à refouler les armées françaises et hâtent ainsi la chute de Napoléon. A partir de cette date, la politique d'Alexandre devient de plus en plus autoritaire, militariste et réactionnaire ; c'est par exemple les "colonies militaires", curieux projet d'encasernement des paysans, ou encore "l'épuration" des universités avec discipline sévère des étudiants et espionnage mutuel.
Le souverain lui-même s'éloigne peu à peu des réalités et plonge dans le mysticisme. Il meurt dans des circonstances mystérieuses à Taganrog en 1825.
Alexandre n'a ni fils ni petit-fils. La couronne doit donc revenir à son frère cadet, Constantin, qui abdique au profit du troisième frère, Nicolas. Mais celui-ci commence par refuser le trône. C'est ce flottement à la tête de l'état que mettent à profit le groupe des Décembristes pour tenter de prendre le pouvoir le 26 décembre 1825. Ces jeunes intellectuels, nourris des idées des Lumières et de la révolution française, veulent instaurer un régime libéral.
Mal préparée, la révolte est écrasée, les cinq dirigeants (dont le poète Conrad Ryléev) pendus et les autres conjurés envoyés en exil en Sibérie. Cet épisode marquera profondément le XIXe siècle russe.
Nicolas accepte finalement le trône et c'est de nouveau un despote militariste qui gouverne la Russie. Contrairement à son frère, il possède une volonté de fer qu'il emploie pour freiner autant que possible les réformes en Russie et les changements en Europe. Les révoltes sont les bêtes noires de Nicolas, il s'efforce de les combattre également hors de Russie. On l'appela "le gendarme de l'Europe", toujours prêt à soutenir les pouvoirs en place et combattre les révolutions surtout en 1848.
Le système éducatif est sévèrement contrôlé, les universités manquent même de disparaître. La censure est renforcée, les voyages à l'étranger interdits. La "troisième section", première police politique en Russie, traque les faits et gestes de la population à la recherche de traces de subversion. Quelques réformes agraires sont ébauchées mais leurs effets quasi-nuls.
Son désir d'avoir un débouché sur la Méditerranée l'amène à déclarer la guerre à la Turquie. Mais la France et le Royaume Uni s'allient aux Turcs pour vaincre l'armée russe en Crimée (1854-1855). Les hostilités ne sont pas terminées quand Nicolas meurt en 1855.
Quand Alexandre II succède à son père en 1855 la situation est critique. Il faut d'abord terminer rapidement le conflit en Crimée, mais surtout s'attaquer aux difficultés intérieures. Il semble admis qu'Alexandre n'avait pas l'âme d'un réformateur, mais il sut comprendre que les réformes étaient indispensables, l'agitation devenant de plus en plus dangereuse.
Même si le système est dépassé socialement et économiquement depuis longtemps, le servage est enfin aboli le 19 février 1861. Les serfs deviennent libres mais doivent racheter leurs terres aux propriétaires ou à l'état. Fondamentale également est la création des zemstvos en 1864 qui instaurent une large autonomie de gestion au niveau des régions. Leurs responsables sont élus parmi la population locale. Plusieurs questions entrent dans leurs attributions : instruction publique, santé, assurances, médecine vétérinaire,, etc. De nombreuses autres réformes sont réalisées : la justice est simplifiée, le service militaire raccourci.
Mais ces mesures, en bouleversant le pays, favorisent aussi l'opposition. Le Tsar et les dirigeants tentent alors de limiter la portée de ces changements et abandonnent leur politique libérale à partir de 1866, ce qui augmente encore le nombre des mécontents.
En 1877 et 1878, la Russie se lance à nouveau dans un conflit contre les turcs. La victoire militaire sera minimisée par la diplomatie européenne et ne débouchera que sur peu d'acquis territoriaux.
Les années 1870 sont marquées par une grande aspiration humaniste des intellectuels qui redécouvrent la paysannerie, c'est le "retour vers le peuple". C'est aussi l'époque des groupes révolutionnaires, de plus en plus organisés et virulents. Leur but principal est d'assassiner le Tsar qui échappe à plusieurs attentats avant celui, fatal, du 13 mars 1881.
Alexandre III, fils d'Alexandre II est encore un de ces tsars réactionnaires, bornés et autoritaires. Traumatisé par l'assassinat de son père, il met en œuvre une "contre réforme" avec contrôle ferme de la société par la police politique, création de chefs ruraux surveillant les assemblées de paysans, reprise en main des universités,, etc.
Premier empereur réellement nationaliste, il organise une russification forcée du pays avec discrimination des particularismes régionaux et persécutions antisémites (c'est l'époque des sinistres pogromes, parfois encouragés par les autorités locales). De façon tout à fait typique et archaïque, Alexandre III s'appuie constamment sur la noblesse et le clergé.
Isolée sur le plan international, la Russie signe en 1891 l'alliance diplomatique franco-russe.
Comme son père, Nicolas est un conservateur convaincu mais un faible qui ne parvint pas à sauver un régime dépassé. Il se laisse influencer par des ministres incompétents, une épouse hystérique et des aventuriers dangereux (Raspoutine).
Poursuivant la politique extérieure du règne précédent, la Russie désire étendre son influence en Extrême-Orient et entreprend la construction du Transsibérien (1891-1905). Elle se heurte alors à l'expansionnisme japonais. La guerre russo-japonaise de 1904-1905 voit la défaite de la flotte tsariste (Port-Arthur) et précipite la fin du régime.
Toute l'année 1905 est marquée par des mouvements de révoltes populaires et des mutineries (épisode du cuirassé Potemkine). L'empereur capitule, la Russie devient une monarchie constitutionnelle. Nicolas reste le tsar mais le pouvoir législatif passe aux mains de la Douma, assemblée élue au suffrage universel. Mais le tsar et son gouvernement n'acceptent pas ce contrôle parlementaire. Ils dissolvent la Douma jusqu'à obtenir une majorité coopérative et vont même jusqu'à changer anticonstitutionnellement la loi électorale.
En 1914 la guerre éclate. Fidèle à ses alliances, la Russie se place au coté de la France et de la Grande-Bretagne et s'enlise avec elles dans un conflit terrible.
Début 1917, le pain et le charbon manquent à Pétrograd (nouveau nom de Saint-Pétersbourg depuis 1914), les émeutes et les mutineries se multiplient. Cette révolution populaire improvisée demande à la Douma de prendre le pouvoir, ce qu'elle fait en l'absence de l'empereur, au front. Nicolas se résout à abdiquer le 15 mars 1917.
Un gouvernement provisoire dirigé par Kerenski prend les premières décisions, proclame la démocratie, et prépare une société libérale. Mais il refuse à se désengager du conflit mondial, si impopulaire dans le pays.
Fortement organisés et galvanisés par Trotsky et Lénine, les communistes
bolcheviks prennent facilement le pouvoir le 7 novembre 1917 en attaquant le
palais d'hiver de Pétrograd puis en contrôlant peu à peu tout le pays au cours
d'une terrible guerre civile (1918-1921).